Politique

L'État offre les frais d'avocat aux sans-papiers

Par Louis Daufresne - Publié le 11/06/2024 - Image : Shutterstock.
Le 28 mai, le Conseil constitutionnel a étendu aux clandestins la prise en charge des frais de justice. Un étranger ne sera plus tenu de résider régulièrement en France pour profiter de l'aide juridictionnelle aux Prud'hommes et en matière civile. Les associations pro-migrants se réjouissent de la fin d'une hypocrisie ; mais pour la droite, l'État continue à démanteler la nation et la citoyenneté.

Hasard du calendrier, provocation ou maladresse ? En pleine campagne des européennes, les partis populistes n'en demandaient pas tant ! Depuis quelques mois, les plus hautes institutions de la République multiplient les décisions favorables aux migrants. Déjà, le 25 janvier, le Conseil constitutionnel censurait 40 % du texte de la loi immigration (Public Sénat). Une décision en grande partie due à la pression d'associations militantes (LSDJ n°2180).

Le 2 février, le Conseil d'État limitait le dispositif de refoulement des étrangers à la frontière. Claire Hédon, défenseur des droits, avait dénoncé « un recours systématique à une privation de liberté, (…) sans aucun contrôle juridictionnel », les clandestins étant mis à l'abri dans des Algeco à Menton et Montgenèvre avant d'être remis à l'Italie. L'application de cette décision demeure toutefois incertaine. Le Conseil d'État n'interdit pas les refus d'entrée ni les remises à un pays tiers en cas d'accords bilatéraux antérieurs à la « directive retour » de l'UE de 2008 (Le Monde), ce qui est le cas avec l'Italie.

Troisième décision : le 28 mai, le Conseil constitutionnel autorise l'aide juridictionnelle pour les étrangers en situation irrégulière. Jusqu'à présent, l'État prenait en charge les frais de justice aux Prud'hommes et en matière civile pour les étrangers résidant habituellement en France. Pas pour les clandestins. Un avocat, Xavier Courteille, bataillait contre cette forme d'inégalité. C'est lui qui est à l'origine de la procédure devant les Sages. Le 1er mars, le Conseil constitutionnel est saisi par la Cour de cassation de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) relatives à la loi du 10 juillet 1991. L'article 3 est dans le collimateur. Il énonce que « seules les personnes de nationalité française, les ressortissants de l'Union européenne et les étrangers en situation régulière » peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle, ce qui, selon les Sages de la rue Montpensier, instaure « une différence de traitement entre les étrangers selon qu'ils se trouvent ou non en situation régulière en France ». Au nom du principe d'égalité, il fallait à leurs yeux censurer l'article 3.

Dorénavant, un sans-papiers sera considéré comme les autres justiciables. Me Courteille se félicite de cette décision : « C'est la fin d'une hypocrisie qui concerne beaucoup de travailleurs qui étaient employés par des entreprises mais n'avaient pas les mêmes droits pour se défendre. Il n'y a pas de sous-justiciable », a-t-il réagi.

L'aide juridictionnelle est destinée aux personnes n'ayant pas de moyens pour se faire représenter par un avocat. Le ministère de la Justice met à disposition un simulateur. La prise en charge est totale puis dégressive, selon le niveau de revenus. Les bénéficiaires ne touchent pas d'argent ; l'État paie directement leurs frais d'avocat. L'aide juridictionnelle s'appliquait depuis 1991 en matière pénale et de droits des étrangers pour les non-Français. En clair, un clandestin accusé de crime était déjà défendu, alors que le travailleur sans-papier lésé par un employeur n'avait droit à rien.

Un travailleur clandestin ira-t-il aux Prud'hommes ? Pas sûr. On voit mal un sans-papier isolé sous OQTF se lancer dans cette procédure, sauf si des associations militantes l'y incitent et l'assistent. Cette pression des ONG pourra peut-être décourager le recours des employeurs au travail au noir, ce qui risque de nuire à l'employabilité de la main d'œuvre illégale.

À droite, on fustige le « coup d'État de droit » (Laurent Wauquiez) ou le « désarmement des frontières » (François-Xavier Bellamy). De fait, la « directive retour » de l'UE de 2008 conduisit François Hollande, dès 2012, à supprimer le délit de séjour irrégulier au motif qu'un État membre ne pouvait réprimer un sans-papier avec une peine d'emprisonnement. Le projet de loi immigration voulut rétablir ce délit mais le Conseil constitutionnel le censura comme cavalier législatif.

Si le séjour irrégulier n'existe plus, n'est-ce pas le principe de l'irrégularité même qui disparaît ? En assurant la défense de personnes hors-la-loi, l'État donne l'impression de piétiner ses propres principes, de refuser de faire respecter la limite tracée par le droit entre citoyen et clandestin. Quant aux électeurs, ne comprenant pas l'usage qui est fait de leur argent, ils trouveront une raison de plus de voter pour un parti contestataire.

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Le Conseil constitutionnel autorise l'aide juridictionnelle pour les étrangers en situation irrégulière
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2 commentaires
Le 11/06/2024 à 11:52
Si ça c'est pas magnifique... l'Etat providence au-delà des frontières vers l'infini et l'au-delà.
Le 11/06/2024 à 09:30
Après ce genre de décision, on s'étonne, on s'offusque de l'arrivée du RN à la tête des élections européennes. Cette décision juridique du Conseil Constitutionnel est un scandale, il serait temps de stopper la "gérontocratie" du CC.
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