Économie

Espagne, Portugal... Les leçons d'une coupure d'électricité massive

Par Judikael Hirel. Synthèse n°2467, Publiée le 03/05/2025 - Photo : La place croissante des énergies renouvelables dans le mix énergétique, opportunité ou danger ?
Crédits : Pixabay / TheOtherKev
En à peine quelques secondes, c'est tout le réseau électrique espagnol et portugais qui s'est effondré le 29 avril dernier. Mais pour quelles raisons, et cela peut-il arriver en France ?

Cinq secondes, c'est peu en soi. Mais c'est une éternité à l'échelle d'un réseau électrique. C'est ce qu'il aura fallu pour voir l'Espagne, le Portugal et le Pays basque frappés par un black-out général le 29 avril. Soudain, comme dans le roman Ravages de Barjavel, tout s'est arrêté. « Trains à l'arrêt, métros fermés, communications coupées, des centaines de personnes bloquées dans des ascenseurs, cohues dans les magasins, des gens paniqués dans le noir, une atmosphère de fin du monde… À voir les scènes de chaos en Espagne, j'ai immédiatement songé au roman de René Barjavel Ravage sorti en 1943 » a réagi la journaliste Eugénie Bastié. « L'auteur de science-fiction imagine une société hyper moderne, où, un jour, au cours d'un conflit entre grandes puissances, l'électricité disparaît. »

Pour l'Espagne et le Portugal, l'espace de quelques heures, ce fut le cas. Les autorités espagnoles cherchent encore les raisons de cette soudaine disparition, à 12h33, de 15 gigawatts (GW) de production d'électricité du système électrique espagnol. Soit un volume équivalent à 60% de l'électricité consommée dans le pays à ce moment-là. De quoi faire tomber le réseau et laisser 60 millions d'habitants sans électricité durant plus de huit heures. Il suffit en effet de quelques secondes pour que la production se déconnecte du réseau. L'électricité ne se stockant pas, il faut constamment équilibrer, offre et demande, en général en adaptant l'offre à la demande. En cas d'écart entre production et consommation, l'électricité produite ne peut plus être acheminée jusqu'au consommateur. Et si sa fréquence baisse trop, les systèmes de protection déconnectent les moyens de production du réseau pour protéger les équipements qui, sinon, seraient endommagés...

La piste de la cyberattaque a été rapidement écartée. Le Premier ministre Pedro Sanchez se voit en revanche reprocher sa politique très tournée vers la transition verte. Même s'il s'en défend, en invoquant notamment que les centrales nucléaires espagnoles n'ont pas été plus résistantes que les autres sources d'énergie. En France, la panne d'électricité ayant touché le Pays basque, alimenté par une ligne venant d'Espagne, aura été de courte durée. Les premières analyses font remonter l'instabilité du réseau espagnol au 10 avril, le réseau électrique souffrant déjà « d'anomalies critiques », avant que des perturbations de tension apparaissent dans le système le 22. Jusqu'à la chute finale. Pour autant, les causes de ce black-out semblent assez claires. Dans un pays comptant peu de centrales nucléaires (le Portugal n'en ayant aucune), des perturbations de fréquence ont entraîné des déconnexions en série : en 1,5 seconde, 60% de la production électrique alimentant le réseau national a disparu. Une production à ce moment-là d'origine solaire à près de 75%, à hauteur de 18 000 Mégawatts. « Un excès de confiance dans l'énergie photovoltaïque bon marché et renouvelable, qui a été maintes fois mise en garde en raison de ses problèmes de stabilité dans le système électrique », s'interroge déjà une partie de la presse espagnole. Le souci : l'absence de la « stabilité du fluide électrique que seules les technologies qui produisent de la lumière grâce à des turbines fournissent ». Dans un rapport récent, le gestionnaire du réseau électrique espagnol avait d'ailleurs alerté sur des risques « sévères » de coupures de courant liés à la « forte pénétration des énergies renouvelables » dans le pays « sans les capacités techniques nécessaires à un comportement adéquat face aux perturbations. » Un problème a néanmoins été écarté ce mercredi par la présidente de Redeia, Beatriz Corredor, indiquant que la production d'énergies renouvelable « est sûre ». Il n'est sans doute pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir… André Merlin, fondateur de RTE, (Réseau de Transport d'Electricité)s'est penché, pour l'émission Points de Vue du Figaro TV sur les mystères de cette panne. « À peu près 2/3 de l'électricité produite en Espagne étaient assurés à partir de panneaux photovoltaïques au moment du black-out. Une dépression est arrivée sur la péninsule ibérique. Moins de soleil, moins d'électricité... Or, cette baisse de la production devait être compensée avec de l'énergie pilotable. Essentiellement l'hydraulique, car il semble que les centrales à gaz étaient pratiquement à l'arrêt : le gaz liquéfié coûte plus cher, surtout en ce moment, par rapport au gaz qui venait de Russie. »

La France et l'Europe risquent-elles demain un black-out général ? Dans l'Hexagone, il faut remonter à 1978 pour retrouver la dernière grande panne de courant. La majeure partie du pays avait alors été plongée dans le noir. « C'est quand même, heureusement, un phénomène exceptionnel, rappelle André Merlin. Mais nous avons failli en avoir un sur toute l'Europe de l'Ouest en novembre 2006. L'origine du black-out peut être en France, mais aussi en ailleurs, et notamment en Allemagne. Nous sommes passés très près d'un écroulement total du système électrique sur tout l'ouest de l'Europe, du fait d'une erreur de coordination entre les gestionnaires de réseau du nord et du sud de l'Allemagne. Les éoliennes se déconnectent du réseau à partir de 49 Hz de fréquence, ce qui a encore aggravé la situation. »

Certes, en Espagne, le mix énergétique est différent de celui de la France, qui compte notamment 61 Gigawatts de production nucléaire, 25 d'hydraulique, 23 d'éolien, 18 de solaire, et 13 de gaz. Mais en plein débat sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, ce black-out met en lumière les risques de l'importance des énergies non pilotables dans le mix énergétique. En effet, à quoi bon quadrupler le parc photovoltaïque et tripler le parc éolien... Pour risquer la coupure générale ? D'autant plus que l'électricité solaire n'est pas aussi peu chère qu'on le dit... « Le prix de l'électricité a augmenté de 120% ces dix dernières années », rappelle d'ailleurs l'ex-patronne d'Areva et auteur de Un secret si bien gardé (Grasset), Anne Lauvergeon. « On peut produire plus avec la base existante, ce qui est la solution la moins chère. Le nucléaire suffit, car la consommation d'électricité n'a cessé de baisser depuis 2012 : elle en est au niveau de 2003. D'abord parce que son prix a fortement augmenté depuis 2008, essentiellement parce que l'on a fortement subventionné les énergies renouvelables intermittentes. Mais aussi du fait de la désindustrialisation de la France. » Ainsi, le gouvernement Bayrou propose de multiplier par quatre le photovoltaïque, par deux l'éolien terrestre, et par 35 l'éolien offshore ! Comme le disait Louis Gallois, « pour tout cela, il faut des investissements, raccorder. Par définition, c'est la facture d'électricité de chaque consommateur qui prend cela en charge. » Pour André Merlin, la solution réside plutôt dans la construction de centrales hydrauliques, plus que dans la création de nouvelles installations nucléaires. Pas de chance : en quelques années l'Espagne a justement supprimé plus d'une centaine de barrages hydrauliques, et ce, malgré leur utilité pour l'irrigation ou encore la production d'énergie. Pour libérer les cours d'eau, et suivre la stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité.

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La red eléctrica sufría ya "anomalías críticas"
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