Bioéthique

Emmanuel Macron relance une « aide à mourir » qui ne serait ni l'euthanasie, ni le suicide assisté

Par Philippe Oswald - Publié le 11/03/2024 - Photo : Un médecin tient un flacon de « Thiopental », un barbiturique utilisé dans la pratique de l'euthanasie, dans un hôpital en Belgique. Simon Wohlfahrt / AFP


« Avec ce texte, on regarde la mort en face » a déclaré le président de la République en annonçant que le projet de loi sur la fin de vie sera débattu avant l'été, dans une interview accordée conjointement à La Croix et à Libération (10 mars). Cet entretien déjà exceptionnel par le choix des médias, retient l'attention par le choix des mots. « Euthanasie ou suicide assisté ? » demandent les journalistes intervieweurs. « Les mots ont de l'importance et il faut essayer de bien nommer le réel sans créer d'ambiguïtés » répond le Président. Il s'agirait, selon lui, d'ouvrir « la possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions strictes » sans créer « un droit nouveau, ni une liberté ».

Les journalistes le relancent sur les mots choisis : « Le texte ne fera donc référence ni à l'euthanasie, ni au suicide assisté ? » « Le terme que nous avons retenu est celui d'aide à mourir parce qu'il est simple et humain » répond Emmanuel Macron. Niant qu'il s'agisse d'euthanasie au sens « de mettre fin aux jours de quelqu'un », ni de suicide assisté « qui correspond au choix libre et inconditionnel d'une personne de disposer de sa vie », le chef de l'État assure que « le nouveau cadre propose un chemin possible, dans une situation déterminée, avec des critères précis, où la décision médicale à son rôle à jouer. » En seraient exclus les mineurs, les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives, ceux dont la maladie est curable et dont le pronostic vital n'est pas engagé à court ou à moyen terme, et ceux que l'on peut soulager de leurs souffrances « physiques ou psychologiques » ...

Une troisième fois, les intervieweurs reviennent sur le vocabulaire présidentiel : « Vous excluez le terme de suicide assisté, mais si l'équipe médicale accède à la demande, ce sera bien au patient d'effectuer le geste final, le geste létal ? » En réponse, Emmanuel Macron cite le projet de loi : « L'administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n'est pas en mesure d'y procéder physiquement, à sa demande, soit par une personne volontaire qu'elle désigne lorsque aucune contrainte d'ordre technique n'y fait obstacle, soit par le médecin ou l'infirmier qui l'accompagne. »

Précisément, ceux qui accompagnent quotidiennement des personnes en fin de vie dans des unités de soins palliatifs ont aussitôt réagi. Ils sont d'autant plus concernés que le texte mêle « l'aide à mourir » aux soins palliatifs (auxquels la moitié des patients en fin de vie n'ont pu accéder en 2022 selon la Cour des comptes, situation que le milliard supplémentaire annoncé sur 10 ans par le chef de l'État - soit un rythme annuel d'augmentation de 5 % - ne pourra redresser). « Il s'agit clairement d'euthanasie et de suicide assisté sur décision médicale, effectués par tous, le patient, un proche, un médecin ou un infirmier » commente dans La Croix (11 Mars) Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs qui rassemble plus de 10.000 soignants et près de 350 associations de bénévoles d'accompagnement. « Nous, soignants, ne voulons pas avoir à décider de qui doit vivre et de qui peut mourir. Nous ne voulons pas de ce pouvoir de décision. » Et Claire Fourcade d'insister : « Il s'agit bien à la fois de suicide assisté et d'euthanasie, sans même qu'une limite claire soit tracée entre les deux. C'est d'autant plus grave que, dans tous les pays où les deux sont légalisés, l'euthanasie devient plus que majoritaire, hégémonique. »

Interviewé dans le même numéro de La Croix, Mgr de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France (CEF), dénonce carrément « une tromperie » dans l'expression « loi de fraternité » employée par le président de la République : « Appeler « loi de fraternité » un texte qui ouvre à la fois le suicide assisté et l'euthanasie est une tromperie. Une telle loi, quoi qu'on veuille, infléchira tout notre système de santé vers la mort comme solution ».

« Si « les mots ont de l'importance », pourquoi alors dissimuler la réalité de l'euthanasie et du suicide assisté derrière l'expression « aide à mourir ? » interroge l'association Alliance Vita. « Le projet de loi prévoit même d'autoriser l'euthanasie pratiquée par un tiers, « une personne volontaire » confirme le site Gènéthique (11 mars) . « Le petit-fils pourra euthanasier la grand-mère si elle a la main qui tremble. Le frère, sa sœur. Le mari, sa femme », s'insurge sur X l'avocat et essayiste Erwan Le Morhedec, bénévole en soins palliatifs. « Avec la possibilité de la mort médicalement administrée, l'exécutif ouvre une boîte de Pandore », prévient le philosophe et sociologue Jean-Pierre le Goff dans un entretien au Figaro (10 mars, en lien ci-dessous). « Ce qui n'empêchera pas ses partisans de nous affirmer une nouvelle fois qu'ils ont tout prévu pour éviter les dérives et que cette “avancée législative” a tout d'un progrès ». Mais pour Jean-Pierre Le Goff, « on peut au contraire y voir une forme de nihilisme désormais présent au sein même de l'État ».

La sélection
Jean-Pierre Le Goff : « La fuite en avant sociétale met directement en jeu la condition humaine »
Lire l'interview sur Le Figaro.
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1 commentaire
Jean-Marie
Le 12/03/2024 à 11:22
Moi je préfère les mots "assistance à la fin de vie". La personne concernée doit avoir fait par écrit cette demande, en désignant une personne avec laquelle elle a trouvé un accord pour le cas ou elle ne serait pas en mesure d'effectuer elle même l'opération.
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