Médias

Edwy Plenel : derrière l'enquêteur, l'éternel militant

Par Stanislas Gabaret. Synthèse n°2470, Publiée le 07/05/2025 - Photo : Edwy Plenel, lors d'un rassemblement contre l'extrême droite, Place de la République, à Paris, le 17 juin 2024. Crédits : Zakaria Abdelkafi / AFP
Plus souvent haï qu'adulé, Edwy Plenel n'en reste pas moins l'une des figures de proue du journalisme d'investigation français. Cet ancien militant trotskyste souhaite incarner l'idéal du métier, en exhibant probité et liberté. Une déontologie qu'il défend sans l'avoir toujours forcément appliquée...

« Un journaliste doit respecter la vérité, quelles qu'en puissent être les conséquences pour lui-même ». D'après la dernière charte déontologique dévoilée par Edwy Plenel, il n'est pas certain que sa carrière soit entièrement réussie. Les fausses affaires (Baudis, Noriega) ont entaché un parcours ayant eu pour mérite d'en révéler aussi beaucoup de vraies. Celui-ci (longuement retracé dans notre sélection) a débuté au sein d'une famille éprouvée : un père dégradé de son titre de vice-recteur académique pour avoir défendu les indépendantistes en Martinique, une mère morte d'alcoolisme et une sœur qui s'est suicidée. Plenel aborde son métier avec une blessure et un sentiment de revanche : « j'aime la petite dague très fine qui rentre dans la chair et juste une petite goutte de sang. Les meilleurs papiers, c'est ça. »

Il fait ses débuts comme jeune plume de la ligue communiste révolutionnaire, dans la revue Rouge. Sous pseudonyme, Joseph Krasny défend l'organisation Septembre Noir qui a perpétré les assassinats d'athlètes israéliens à Munich en 1972 : « Aucun révolutionnaire ne peut se désolidariser de Septembre noir. […] À Munich, la fin si tragique selon les Philistins de tout poil, qui ne disent mot de l'assassinat des militants palestiniens, a été voulue et provoquée par les puissances impérialistes et particulièrement Israël » (Rouge, n° 171).

Le militant va emprunter la voie du journalisme. Il a pour cela deux qualités essentielles : une curiosité dévorante et un savoir-faire particulier en matière de réseautage. Ses nombreux contacts au sein de la magistrature et de la police lui dévoilent des dossiers confidentiels. Une pratique qui pose question, mais qui lui apporte son premier scoop majeur, 2 ans après son arrivée au Monde : l'affaire du Rainbow Warrior, le bateau de Greenpeace dynamité par les services secrets français en 1985, au large de la Nouvelle-Zélande. Mais en interne, cette méthode lui vaudra des ennemis : ceux qui dénoncent La Face cachée du Monde (Fayard 2003) et accusent Plenel et son équipe, qui ne feraient que « recopier les procès verbaux négociés dans les bureaux des juges ».

Le succès retentissant de l'ouvrage pousse l'enquêteur à partir. Il s'engage alors dans l'écriture d'un livre d'entretiens avec François Hollande, une amitié fondée sur un ennemi commun : Nicolas Sarkozy. Pour preuve : un enregistrement lors des universités d'été du Parti socialiste de 2010, où Hollande s'esclaffe demandant à Plenel s'il n'a pas encore arrêté « le délinquant ». De fait, Sarkozy est devenu la cible prioritaire de son nouveau site d'information 100% numérique. Médiapart est lancé en 2008 avec l'ambition de créer, le « journal de référence du XXIe siècle ». Pas de publicité, des enquêtes avec accès payant, un blog participatif, et une ligne prête à faire feu sur quiconque aurait les mains sales, surtout s'il est puissant : « nous n'épargnons personne, nous sommes le seul média totalement libre et indépendant  ». Paradoxalement, plusieurs fortunes vont mettre la main à la poche pour son lancement...

Parmi les grands noms que côtoie le « général Moustache » se trouve Dominique de Villepin. Ce dernier l'aide à sortir le gros coup qui fera bondir les revenus de Médiapart : l'affaire Bettencourt. Cette amitié hors les murs est née de la prise de position de l'ancien Premier ministre à l'ONU contre la guerre américaine en Irak. Plenel est sous le charme. D'autant plus que Villepin déteste Sarkozy. Il intercède pour que les enregistrements dans la maison de la richissime Liliane Bettencourt, qui aurait financé illégalement la campagne de 2007, soient livrés au journal qui en fait son fonds de commerce : pour les écouter, il faut payer. Le succès est assuré. Puis viendront les autres révélations d'ampleur : les financements libyens de Sarkozy (à qui sont consacrés 160 articles), l'affaire Cahuzac, François de Rugy accusé de mener « une vie de château », Amélie Oudéa Castéra qui a pour tort d'avoir scolarisé son fils à Stanislas...

Les vraies affaires se mêlent aux accusations morales. De Rugy et Castéra n'ont enfreint aucune loi. Nicolas Sarkozy a été blanchi dans l'affaire Bettencourt. Mais pour Edwy Plenel, l'important est de mobiliser l'opinion publique, quitte à briser des vies comme celle de Dominique Baudis, l'ancien maire de Toulouse à qui il avait attribué des actes abominables avant qu'une contre-enquête rondement menée ne l'innocente.

Plenel finira par prendre ses distances avec François Hollande. Il lui reproche d'avoir nommé à des postes clés, les partisans d'une laïcité dure, comme Manuel Valls. Lui se veut le fils spirituel d'Émile Zola en plaidant Pour les musulmans (La Découverte 2014). Ces derniers seraient devenus les nouveaux damnés de la Terre, comme les juifs autrefois. Rien sur ceux intégrés avec réussite en France ni sur ceux qui la rejettent radicalement. Et pour cause, Edwy Plenel s'est rapproché de Tariq Ramadan. Il voit un intellectuel respectable chez le théologien réputé proche des Frères Musulmans avant de s'en distancer quand il est mis en examen pour viols.

Cela n'empêche pas Emmanuel Macron de l'honorer d'un échange télévisé aux côtés de Jean Jacques Bourdin en 2018. Une intronisation pour Plenel et Médiapart à qui le candidat avait déjà accordé sa dernière interview avant son élection de 2017. Et ce, malgré la mansuétude de Plenel vis à vis de l'islam radical, préférant se centrer sur « la chance pour la France d'être le premier pays musulman d'Europe ». L'auteur de cette phrase restera muet d'ailleurs lors du pogrom de 2023 tout en accusant par la suite l'État d'Israël de commettre un génocide à Gaza.

Toujours prompt à faire de l'éthique journalistique un combat professionnel, l'enquêteur vient de proposer à Marseille une Charte sur l'information et les migrations. Signée par Médiapart, dont il a cédé sa place de directeur en 2024, elle dévoile les 11 commandements pour couvrir les questions migratoires : il est nécessaire de, « veiller à ce que la diffusion d'une information ne contribue pas à nourrir la haine ni les préjugés », « veiller à utiliser des images d'illustration qui reflètent la diversité des migrations », s'assurer « du consentement explicite et éclairé des personnes migrantes lorsqu'elles seront filmées, enregistrées ou prises en photos », « être vigilant sur les termes employés », car migrant, réfugié, immigré et étranger n'ont pas le même sens et qu'il faut éviter amalgames et approximations. Autant de carcans dont on peut se demander s'ils sont vraiment favorables à la vérité.

La sélection
Edwy Plenel, enquête sur l'enquêteur
Lire l'article sur Vanity Fair
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Valider
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne