Santé

Déserts médicaux, la régulation des installations au cœur de la controverse

Par Raphaël Lepilleur. Synthèse n°2465, Publiée le 01/05/2025 - Photo : Des étudiants en médecine manifestent contre la proposition de loi Garot, à Paris, le 29 avril 2025. Crédits : Eric BRONCARD / Hans Lucas via AFP
Face à la proposition de loi Garot visant à lutter contre les déserts médicaux, la tension monte dans le monde de la santé comme à l'Assemblée. Soutenu par une partie de la gauche et du centre, contesté par la droite, le RN et les syndicats médicaux, le projet divise. Entre urgence sanitaire et liberté d'exercice, c'est la place de l'État dans l'organisation de la médecine qui est au cœur du débat.

La proposition est portée par Guillaume Garot, député socialiste de la Mayenne, et cosignée par 239 parlementaires issus de divers partis politiques, d'où le terme « d'initiative transpartisane ». Néanmoins, ce terme doit être contrasté, puisque l'initiative et les principaux soutiens proviennent en réalité majoritairement du Parti Socialiste, des partis de la majorité présidentielle (Renaissance, MoDem, Horizons), de figures de LFI, des Écologistes, du PCF et de divers indépendants, avec l'appoint de quelques députés LR.

La proposition de loi s'articule autour de 5 articles :

  1. Création d'une autorisation préalable par l'ARS (Agence Régionale de Santé). En zone sous-dotée, l'autorisation de s'installer est donnée automatiquement aux médecins ; ailleurs, elle n'est accordée que si un médecin de même spécialité cesse son activité.

  2. Suppression de la majoration tarifaire appliquée aux patients sans médecin traitant.

  3. Déploiement d'une première année de médecine dans chaque département et création d'un CHU par région, notamment un CHU en Corse d'ici 2030.

  4. Rétablissement de l'obligation de permanence des soins pour les médecins libéraux.

  5. Financement de la loi par une hausse de la fiscalité sur le tabac.

La régulation de l'installation des médecins constitue son socle. Ses auteurs assument le caractère coercitif de la mesure, affirmant : « La régulation de l'installation des médecins n'a encore jamais été essayée en France. La dégradation de l'accès aux soins justifie aujourd'hui plus que jamais cette mesure de courage politique. »

Cela concerne déjà de très nombreux soignants, avance le député socialiste, « Les pharmaciens ne s'installent pas exactement là où ils veulent mais en fonction de la démographie. Les kinés, les infirmières et, depuis le 1er janvier, les dentistes, sont soumis eux aussi à une régulation de l'installation. Nous disons aux médecins de ne pas aller s'installer là où il y a suffisamment de médecins mais là où les patients les attendent. » Selon L'Humanité, « ce texte a dû faire face à une levée de boucliers de la part de la droite et l'extrême droite, ainsi que des organisations de médecins ».

Rarement un texte aura fédéré une telle opposition. Portée par une quinzaine d'organisations majeures, dont tous les principaux syndicats médicaux, les associations de jeunes médecins, ainsi que les représentants des étudiants et le Conseil national de l'Ordre des médecins, la mobilisation est à la fois large et transversale. Des élus locaux, notamment l'Association des maires ruraux de France et l'Association des départements de France, ont également exprimé leur désaccord.

Très suivi sur instagram, le kinésithérapeute Major Mouvement a exprimé son inquiétude : « On veut nous faire croire que c'est les méchants médecins nantis qui veulent juste se gaver sur la souffrance des gens. Alors qu'en fait, ça fait 30 ans que pour diminuer les dépenses de santé publique, on ne forme pas assez de médecins ». Une déclaration qui fait écho à ce dessin de Patès, qui ne manquera sans doute pas de faire réagir.

L'Union française pour une médecine libre dénonce une véritable « humiliation ». Dans un communiqué, le syndicat accuse les députés de vouloir organiser l'effondrement du système de soins libéral. « Devons-nous accepter d'être traités tels des sous-fonctionnaires, avec les contraintes de la fonction hospitalière, mais sans les avantages ? Ou tels des sous-libéraux, avec les responsabilités qui sont les nôtres, mais sans les droits et les libertés de cet exercice ? ».

Une tribune signée par le collectif étudiant « Pour une Santé Engagée et Solidaire » sur le blog de Mediapart, défend la régulation de l'installation comme une mesure d'urgence éthique et solidaire pour garantir l'accès aux soins, tout en appelant à une réforme globale. Les étudiants soulignent que la liberté d'installation actuelle entretient de profondes inégalités d'accès aux soins.

Au sein de l'UE, la régulation est l'exception plutôt que la règle. Seuls quelques pays comme l'Allemagne ou le Danemark l'imposent, tandis que la majorité des États privilégient la liberté d'installation associée à des incitations financières. En France, si la suppression du numerus clausus en 2021 a mis fin à une politique de restriction, ses effets ne se feront sentir qu'à l'horizon 2030. Le recours à des médecins étrangers ou à des Français formés à l'étranger ne cesse d'augmenter.

Pour Lucas Poittevin, président de l'ANEMF, « le problème n'est pas la répartition des médecins, mais leur nombre ». Selon lui, cette loi pourrait décourager les futures générations de s'installer en libéral. Pour lutter contre les déserts médicaux, « Il faut former plus et mieux ». Il propose plusieurs pistes comme l'augmentation du nombre d'étudiants, des stages en milieu rural, la création d'un statut de « docteur junior ambulatoire ». Une intervention à lire dans l'article « Dis docteur, pourquoi tu tousses ? ».

François Bayrou a tenté d'apaiser les tensions en assurant qu'il n'était « pas question d'imposer un lieu d'installation », évoquant des solutions comme l'engagement de deux jours par mois en zone sous-dotée.

« Les médecins auront la liberté d'installation sur 87% du territoire », a insisté Philippe Vigier. Mais le projet entérine, qu'on le veuille ou non, un changement de paradigme, celui d'une intervention accrue de l'État dans l'organisation de la médecine libérale.

La sélection
Proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux
Lire sur le site de l'Assemblée Nationale
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Valider
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne