Décathlon : à fond la norme !
Islam

Décathlon : à fond la norme !

Par Louis Daufresne - Publié le 01/03/2019
Propriété de la très catholique famille nordiste Mulliez, le groupe Décathlon devait prochainement commercialiser son hijab de sport. Mais devant la controverse suscitée par ce vêtement islamique et le risque de voir l’ensemble de ses marques boycottées, l’enseigne a préféré y renoncer. Du moins en façade. Car, selon son directeur de communication, le produit sera mis à disposition dans les magasins qui le demanderont…

Depuis le 1er décembre, le Nike Pro Hijab est déjà disponible au prix de 30 euros, et on ne voit pas pourquoi un concurrent français s’amputerait ad vitam d’une part de marché considérable. Selon un rapport de Thomsom Reuters, la mode islamique représentera en 2023 une manne mondiale de quelque 320 milliards d'euros. En clair, les fabricants s’emploieront de plus en plus à offrir des produits typés, ce qui relativise l’idée que le sport émancipera les femmes musulmanes. Décathlon veut pénétrer ce marché et, avant de se raviser habilement, déclarait « assumer parfaitement » la commercialisation en France de son hijab déjà vendu au Maroc. Selon la fiche de description du produit, celui-ci était « conçu pour la coureuse qui souhaite se couvrir la tête et le cou pendant sa course ». L’entreprise l’avait « validé pour son confort et sa respirabilité » et rien n’empêchait de mettre un tel vêtement dans les rayonnages. L’enseigne se disait mue par « un engagement sociétal ». Angélique Thibault, créatrice de ce hijab, exprimait la volonté que « chaque femme puisse courir dans chaque quartier, dans chaque ville, dans chaque pays, indépendamment de son niveau sportif (…) et de sa culture ». Mais ces paroles de la responsable du jogging chez Kalenji, la gamme de course à pied de Décathlon, recèlent une grande ambivalence.

« Indépendamment de sa culture », dit-elle. Toute la question est là. « Est-ce qu’il vaut mieux une femme qui a le droit d’aller courir avec un hijab ou une femme qui est contrainte de rester à la maison ? », résume l’éditorialiste de RTL, Alba Ventura. D’un autre côté, invoquer l’indépendance apparaît comme un élément de langage un peu osé. Car Décathlon répondait à une demande communautaire. C’est ce point qui a soulevé l’indignation, comme ce fut déjà le cas avec le Quick halal de Roubaix en 2010 ou le burkini sur la plage corse de Sisco, en 2016. En fait, depuis l’affaire dite « du voile à l’école » survenue à Creil (Oise) en 1989, on ne compte plus les polémiques liées à la pression sociale de l’islam.

Chaque fois se pose la question de la norme à laquelle on se réfère :

- s’il s’agit de la loi du marché, Décathlon n’a aucune raison d’avoir des scrupules. La sociologie a changé et les marques s’alignent. La part croissante prise par les comptoirs halal dans les grandes surfaces obéit à cette logique numérique. Les commerçants vous répondront qu’ils n’y sont pour rien si la France change de visage. De même, on ne voit pas pourquoi les caissières de grandes surfaces ne seraient pas voilées dans la mesure où leurs clientes le sont. En bref, le marché ne fabrique pas la réalité, il s’y ajuste, voilà tout.

- s’il s’agit de la laïcité, deux visions s’affrontent : la laïcité-poison et la laïcité-bastion.

La première définit un cadre neutre imposant le respect des croyances et des pratiques. Neutre veut dire vide : c’est un espace à prendre. Les communautarismes s’engouffrent dans cette brèche et les élites mondialisées les y encouragent à grand renfort de discrimination positive. Ici, le hijab rend visible une minorité dont la religion est invitée à s’épanouir sous les ors républicains, comme l’illustre le mot de Roland Ries, maire de Strasbourg : « Nous servons de la viande halal par respect pour la diversité et pas de poisson le vendredi par respect pour la laïcité. » Ce sophisme diversitaire passe à la trappe un catholicisme réprouvé et, avec lui, les repères qu’il a institués. Et les valeurs de la République semblent inaptes à prendre le relais et les opposer aux valeurs de Décathlon est absurde car l’une et l’autre ne proposent rien. Ici, la norme, c’est l’absence de normes. Électoralement ou commercialement, seul compte le nombre. Ce néant met mal à l’aise des politiques : Agnès Buzyn affirme qu’elle « aurait préféré qu’une marque française ne promeuve pas le voile ». Mais au nom de quoi ? Juste après, elle reconnaît que « ce n’est pas interdit par la loi ».

La laïcité-bastion postule que le système ne peut fonctionner que si les nouveaux venus partagent le socle de fondamentaux de la société d’accueil et surtout ne les détournent pas à leur profit. À la pression du nombre elle oppose l’identité. Le hijab n’appartenant pas à nos traditions, il n’est pas acceptable qu’une marque française fasse de l’argent dessus. À ce compte-là, Clovis ne se serait jamais fait baptiser... Cette laïcité-là ratisse beaucoup plus large qu’un nationalisme étroit et se réfère à une longue tradition unitaire d’intégration à la République, dans le sillage de la volonté monarchique de pacifier la France après les guerres de religions. L’ennui, c’est que tout verrou est appelé à sauter un jour ou l’autre. Qu’un tel sujet ait pu faire polémique révèle en soi la fragilité de la culture française, de moins en moins dominante. Ceux qui s’en réclament se raidissent au moindre signe de soumission de l’espace public à une emprise étrangère. Nul ne réfléchit à la signification du voile, réalité antérieure à l’islam et dont celui-ci n’a pas le monopole. Le hijab apparaît comme l’étendard d’une doctrine politique, y compris quand on en est victime, ce qui est le cas de la grande majorité des femmes musulmanes. Cette laïcité-là coalise les angoisses identitaires aux récriminations féministes. Décathlon était pris dans cette mâchoire. Jeannette Bougrab, auteur de Lettre aux femmes voilées et à ceux qui les soutiennent (Cerf), expliqua ainsi que le voile « n’est pas juste un morceau de tissu » et que l’on ne pouvait faire la promotion de l’apartheid des sexes, hijab voulant dire « cacher » en arabe.

Au bout du compte, livrer l’espace public au relativisme culturel revient à le transformer en champ de bataille. Aujourd’hui, les tenants des deux visions s’affrontent : les uns jugent islamophobe toute réserve de nature identitaire ou patrimoniale. Les autres, du moins les plus zélés d’entre eux, parlent de la laïcité comme de « la mère porteuse de l’islam » (titre du livre du Père Michel Viot & d'Odon Lafontaine préfacé par Rémi Brague, de l’Institut - Editions Les Unpertinents - Saint Léger). Á l’arrivée, c’est l’impasse et un sommet d’« incommunication », pour reprendre un terme forgé par le sociologue Dominique Wolton.
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