Christianisme

Le conclave au défi de garder le secret

Par Louis Daufresne. Synthèse n°2466, Publiée le 02/05/2025 - Photo :

Les mains des cardinaux lors de la messe du Sixième Novemdiale à la basilique Saint-Pierre, après les funérailles du pape et avant le conclave, au Vatican, le 1er mai 2025.

Crédits : FILIPPO MONTEFORTE / AFP
La semaine prochaine, à partir du mercredi 7 mai, débutera le premier conclave de l'ère numérique. Cette réunion de l'Église catholique romaine, à l'issue de laquelle 133 cardinaux éliront le successeur du pape François, se déroulera dans le secret le plus absolu. Embastillés dans la chapelle Sixtine, les prélats prêtent serment pour ne rien dire, ni avant l'élection ni après. Le risque est faible que le nom du 267e souverain pontife soit connu avant que sa silhouette paraisse à la loggia de la basilique Saint-Pierre.

Faites vos jeux ! Après l'élection présidentielle américaine de novembre, le conclave attire les parieurs du monde entier. Le secret fascine. Le site américain Polymarket cumule plus de 5 millions d'euros. Il voit une victoire de l'Italien Pietro Parolin, n°2 du Saint-Siège, devant le Philippin Luis Antonio Tagle – qui serait le premier pontife asiatique. Même ordre d'arrivée chez William Hill, bookmaker britannique, et Oddschecker, site web compilant les cotes proposées par différents parieurs. Loin derrière eux pointent l'Italien Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et envoyé spécial du défunt pape pour la paix en Ukraine, et le Ghanéen Peter Turkson – qui serait le premier pontife africain. Si l'Église catholique n'aime guère les jeux d'argent, « la rapidité avec laquelle les paris ont décollé cette année souligne une fascination culturelle durable pour la papauté, amplifiée par la couverture médiatique et la culture populaire », selon M. Vaughan Williams, professeur d'économie et de finance à la Nottingham Business School, interrogé par l'AFP. Reste que ces prévisions ne sont pas fiables. Au conclave de 2013, année de l'élection du pape François, les favoris étaient l'Italien Angelo Scola et le Ghanéen Peter Turkson. Le pape argentin figurait loin derrière, se classant parfois jusqu'à la 40e place. Benoît XVI lui-même, qui avait renoncé à sa charge, pensait que Mgr Scola serait élu !

Les paris papaux profitent du phénomène Conclave, le film à suspense de l'Allemand Edward Berger, inspiré du roman de Robert Harris. Oscar en mars du meilleur scénario adapté, fort de 1,2 million d'entrées en France (Allociné) et très visionné depuis la mort de François, cette fiction réaliste plonge dans le secret de la Curie, les intrigues de clans et les ambitions inavouées. L'acteur britannique Ralph Fiennes, alias cardinal Lawrence, y est magistral. Outre la fin fantaisiste, comment savoir si le film dit vrai ? France Info passe au crible plusieurs scènes, mais omet une invraisemblance flagrante, celle où sœur Agnès s'adresse publiquement aux cardinaux. Car lundi prochain à 16h30, dans la chapelle Pauline du palais apostolique, ecclésiastiques et laïcs prêteront serment, la main posée sur l'Évangile. S'ils ne gardent pas le secret, ils seront excommuniés. Il en va du salut de leur âme ! Nul ne peut adresser la parole à un électeur, y compris un membre du personnel (chauffeurs, cuisiniers, réceptionnistes, femmes de ménage, infirmiers, médecins, etc.). Sur place, la communication avec l'extérieur (smartphone, internet, montres connectées, journaux) sera interdite. Les lieux seront couverts par des brouilleurs électroniques. Lorsque les cardinaux iront à pied de la résidence Sainte-Marthe à la chapelle Sixtine, la circulation des véhicules et des piétons sera même interrompue pour empêcher tout contact.

Dérivé du latin cum clave (« avec une clé », autrement dit « fermé à clé »), le conclave porte bien son nom. Mais la technologie suffira-t-elle à isoler les cardinaux ? Déjà en 2005, « de nombreuses agences de renseignement dans le monde [tentèrent] certainement de pénétrer au sein du Saint-Siège à l'aide d'avions spéciaux, par exemple des avions-espions… ou des lasers », avait alors indiqué Andrea Mergelletti, expert en sécurité et président du Centre d'études internationales de Rome (Voice of America).

Le défi est double : se prémunir des intrusions et empêcher les fuites. Les dispositifs modernes peuvent y pourvoir pendant le conclave. Mais après, évidemment, c'est une autre histoire, une histoire d'homme : quand les langues se délient, aucun brouilleur n'y peut plus rien. C'était déjà le cas en 2005. Ici, Éric Jozsef, correspondant de Libération et du Temps en Italie, donne les résultats des différents scrutins jusqu'à l'élection de Joseph Ratzinger ! De son côté, Aymeric Christensen dans l'article en référence, reprend les infos tout aussi précises d'Elisabetta Piqué, correspondante à Rome pour le journal La Nación. En 2013, « alors qu'on estimait que François avait été élu le soir du 13 mars au cinquième tour, ce serait en réalité au sixième tour qu'il aurait été déclaré pape. Et ce tour supplémentaire serait dû à une erreur d'un cardinal, qui aurait glissé avec son bulletin de vote un second bulletin, vierge, resté collé en dessous. Au moment du compte, en découvrant qu'il y avait 116 bulletins au lieu de 115, les cardinaux auraient décidé de revoter immédiatement sans dépouiller le cinquième tour. C'est là que le cardinal Bergoglio aurait obtenu 90 voix ».

Plus grave encore, et toujours selon les révélations d'Elisabetta Piqué, « plusieurs cardinaux seraient venus voir le cardinal Bergoglio juste avant le début du conclave et lui auraient déclaré : "Attention, c'est ton tour maintenant." ». Et la journaliste relate encore un épisode qui se serait déroulé au dîner du 12 mars, donc dans le secret du conclave. « Bergoglio aurait alors été assis à côté du cardinal argentin Leonardo Sandri et l'aurait conseillé sur les antibiotiques que ce dernier prenait pour se soigner. C'est alors que, devant leur assiette de soupe de légumes, Sandri lui aurait glissé : "Prépare-toi, cher ami..." ».

Un temps, des spéculations avaient entouré la « mafia de Saint-Gall », présentée par les adversaires du pape François comme un groupe de pression réformiste monté par le cardinal belge Gottfried Daneels (1926-2019). Mais rien ne put étayer la thèse du complot. Néanmoins, des électeurs, malgré leur serment, ont du mal à respecter la parole donnée, y compris quand ils prennent Dieu à témoin. Ils le font, selon certains journalistes, « pour l'histoire ». Comme l'écrit Gérard O'Connell dans L'élection du pape François (Artège, 2020), « je peux (…) révéler que plusieurs électeurs originaires de différentes parties du monde ont gardé des notes sur le déroulement du vote [que] certains d'entre eux ont partagé leurs souvenirs de cet événement historique et [que] parmi ces souvenirs, il y a nombre de faits initialement destinés à rester confidentiels dont ils ont pourtant discuté avec des proches qui, à leur tour, me les ont communiqués ». Une sorte de téléphone arabe où le hasard des rencontres plus ou moins provoquées, épouse l'insatiable curiosité de vaticanistes aguerris. Même si la providence s'en plaint, en arabe, hasard ne signifie-t-il pas « doigt de Dieu » ?

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