Comprendre la guerre pour l’éviter sans sacrifier la liberté
Culture

Comprendre la guerre pour l’éviter sans sacrifier la liberté

Par Philippe Oswald - Publié le 09/01/2023 - Photo : Kharkiv, Ukraine (Sergey Bobok / AFP).
C’est un sujet auquel on préfère ne pas penser. Pourtant, la guerre se rappelle à notre mauvais souvenir, aux portes de l’Europe. Quelles sont ses caractéristiques ? Comment la prévenir ? Et que nous dit-elle de nous-mêmes ? Henri Hude, normalien, agrégé et Docteur en philosophie, éclaire ces questions dans un ouvrage resserré et d’une rare rigueur intellectuelle : « Philosophie de la guerre » (Economica, 2022, 124 pages, 23€). C’est la synthèse d’une longue réflexion menée par ce spécialiste de la « chose militaire » : l’auteur a dirigé le pôle éthique et droit au centre de recherches des Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan (2004-2018), a fondé la Société internationale d’éthique militaire en Europe, et a été Senior research fellow de l’US Naval Academy d’Annapolis. Dans un entretien au mensuel La Nef (janvier 2023, en lien ci-dessous), il présente les grandes lignes de sa pensée philosophique sur la guerre.

On invoque souvent à propos de l’Ukraine le concept traditionnel de « guerre juste ». Il semble aller de soi tant la légitime défense de Kiev face à Moscou s’impose comme une évidence. « Si toute guerre était perverse, aucune défense ne serait légitime » souligne d’emblée Henri Hude. Cependant, ajoute-t-il, de nos jours , « la théorie de la guerre "juste" peut servir comme arme de guerre juridique, justifiant toute entreprise guerrière de l’Occident postmoderne. » On a vu notamment l’usage qu’en a fait Washington contre l’Irak. On tend aujourd’hui à séparer la justice d’un bien commun objectif pour la lier à l’exaltation de la liberté individuelle, les États-Unis se posant volontiers comme l’Empire du Bien, défenseur d’une telle liberté face aux vieilles nations, suspectes de « nationalisme », forcément belliciste dans l’esprit des contemporains traumatisés par les deux Guerres mondiales.

A priori, tout le monde veut éviter la guerre, du moins la guerre totale qui, avec les armements nucléaires, conduirait à l’anéantissement. Mais la guerre étant « un duel entre volontés politiques », une solution pour l’empêcher serait de « supprimer la pluralité des volontés politiques ». D’où la séduction d’un « Léviathan », d’un pouvoir mondial unique « imposant la paix en désarmant tout le monde ». Ce serait en réalité un super despotisme « réduisant le plus grand nombre à l’impuissance totale, y compris spirituelle, intellectuelle et morale » avertit Henri Hude : « Le Léviathan total, c’est un pouvoir unique, absolu et illimité, spirituel et temporel, sur l’espèce humaine. »

Loin d’être un facteur de paix, Léviathan « est au contraire la cause la plus certaine de la guerre ». Dans un univers soumis au changement, aux aspirations individuelles et communautaires, il ne pourrait se maintenir que par « une dictature personnelle de fer se subordonnant, comme un Parti discipliné, une oligarchie terrifiée ». Henri Hude ne voit pas un tel régime subsister plus de deux générations, ce qui laisserait toutefois le temps à cette dictature mondiale de faire des ravages en détruisant « la force morale des peuples » et en suscitant « des oppositions extrêmes et irrationnelles », jusqu’au terrorisme nucléaire.

Sacrifier la nation n’est pas la bonne solution pour éviter la guerre. Celle-ci n’a pas surgi avec les nationalismes modernes… mais avec l’homme ! « Sa cause première est au cœur de l’homme en tant qu’homme. » La nation peut certes amplifier ce bellicisme en l’exaltant, notamment au nom de la liberté, la « liberté-en-premier », clé de voûte de la culture moderne : « Le nationalisme est parmi les idéologies modernes, celle qui voit dans la nation moderne la plus haute réalisation de la Liberté. Si cette idéologie règne sur une grande nation, elle ne va pas y créer l’ambition dominatrice, mais elle va la déchaîner. Et si le phénomène affecte plusieurs grandes nations voisines, le choc entre nationalismes impériaux modernes est inévitable » explique Henri Hude.

Dans ces conditions, peut-on néanmoins espérer éviter la guerre ? Il faut s’y atteler en développant une culture de paix. Celle-ci est inséparable de la quête de la vérité dans un monde saisi par un doute universel mais qui exalte une liberté devenue un « en soi » autosuffisant. C’est en se détachant des utopies modernes que les nations « peuvent bloquer Léviathan ». Henri Hude appelle de ses vœux « une alliance non impériale de nations animées par une culture ultramoderne de paix, de philia. » Les religions peuvent y contribuer, pourvu qu’elles prennent en compte la liberté personnelle (certaines en sont fort éloignées NDLR) : « Si le salut requiert un degré d’adhésion libre à la vérité salutaire, la liberté religieuse se trouve encouragée, mais ce n’est pas pour autant une « liberté-en-premier » et elle n’exprime pas un utilitarisme politique indifférent à la vérité, au salut, à la Divinité. Par suite, la religion demande moins le pouvoir que la liberté. Elle compte plus sur la persuasion que sur la force. On n’est pas dans une logique de guerre. »
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