International

De la clandestinité au fauteuil présidentiel, itinéraire de José Mujica, le président-paysan

Par Raphaël Lepilleur. Synthèse n°2487, Publiée le 27/05/2025 - Photo : José Mujica, Montevideo, le 14 mars 1985, le jour de sa libération après avoir passé 13 ans en prison Crédits : AFP PHOTO/Agencia Camaratres
José « Pepe » Mujica, ex-président de l'Uruguay, est décédé le 13 mai 2025 à 89 ans. Ancien guérillero, braqueur assumé, évadé de prison à deux reprises, il est devenu une icône mondiale, symbole d'insoumission et de lutte. Sa légende dépeint un président engagé, philosophe, modeste, vivant dans une ferme. Mais derrière cette image se cache un héritage plus trouble, que le récit officiel préfère parfois romancer.

José Alberto Mujica Cordano naît le 20 mai 1935 dans la périphérie de Montevideo, au sein d'une famille d'agriculteurs modestes. Son père, Demetrio Mujica Terra, est d'origine basque espagnole, sa mère, Lucy Cordano Giorello, d'ascendance italienne. Contrairement à ce que certaines biographies affirment, il n'était pas fils unique. Sa sœur, María Eudoxia, naît en 1941. Leur père meurt deux ans plus tard, le forçant à travailler aux champs pour aider sa mère, qui se tourne vers la floriculture (une activité qu'elle lui a transmise et qu'il continuera toute sa vie). Il grandit entre pauvreté digne et apprentissage de l'effort. Il quitte l'école avant le lycée, happé par les luttes sociales et les mouvements de jeunesse.

Au début des années 60, il bascule du militantisme à la lutte armée. Il rejoint le Mouvement de Libération nationale - Tupamaros, (MLN-T), d'inspiration marxiste-léniniste, qui prône la guérilla urbaine contre l'État, au moyen de braquages, expropriations, enlèvements et attentats ciblés. La violence y était revendiquée comme moyen pour mener une révolution sur le modèle cubain. Il devient un cadre important et participe à de nombreuses opérations, dont la célèbre prise de Pando en 1969. Plusieurs arrestations, deux évasions spectaculaires, une cavale, six balles prises lors d'affrontements avec la police, puis la capture finale en 1972. Aujourd'hui encore, cette époque divise. Certains la perçoivent comme juste et courageuse, à mi-chemin entre Che Guevara et Jacques Mesrine. D'autres y voient l'ascension d'un criminel. Parmi les zones d'ombre majeure, reste le meurtre du jeune officier José Leonardo Villalba, abattu de sept balles dans le dos en 1971, qu'il n'a jamais confirmé ni nié.

En 1971, Juan María Bordaberry est élu président. Deux ans plus tard, en 1973, il dissout le Parlement avec le soutien de l'armée et instaure une dictature militaire. Mujica est alors désigné comme « otage » du régime et passera treize années en détention, souvent à l'isolement et torturé. Une trajectoire qui lui a valu d'être comparé à Mandela.

Au début des années 70, Mujica croise la route de Lucía Topolansky. Celle qui sera première dame est une militante farouche du MLN-T, opérant sous le pseudo « Ana ». Elle est arrêtée une première fois en 1970, s'évade, puis de nouveau capturée en 1972, elle passera, comme lui, treize ans en prison. C'est elle qui, la nuit de l'évasion spectaculaire de Pepe de la prison de Punta Carretas en 1971 (avec plus de 100 autres détenus), l'aide à l'extérieur. Elle est une combattante de terrain. Ils forment un duo politique, amoureux et militaire.

Quand l'Uruguay retrouve la démocratie en 1985, ils sont libérés dans le cadre d'une loi d'amnistie. Portés par un immense capital de sympathie, ils entament une vie politique. Mujica cofonde le Mouvement de Participation Populaire, une branche du Frente Amplio (coalition de gauche), qui devient rapidement incontournable. Il devient député, puis sénateur, et en 2005, ministre de l'Agriculture dans le gouvernement de Tabaré Vázquez. Il cultive alors un style atypique, entre langage populaire, bottes crottées et méfiance envers les technocrates. En 2010, il accède à la présidence. Lucia, quant à elle, sera notamment députée, vice-présidente et sénatrice.

Son mandat est salué à l'international pour ses réformes progressistes, la légalisation du mariage homosexuel, la dépénalisation de l'avortement, la régulation du cannabis (première mondiale) mais aussi pour sa politique sociale, avec une augmentation notable du salaire minimum et un recul significatif de la pauvreté. Mujica fascine la planète, car il donne 90% de son salaire, refuse le palais présidentiel, et vit dans sa ferme avec ses chiens et sa coccinelle iconique. À l'international, la gauche le salue comme une icône (en France il trouvera un relais avec LFI et Jean-Luc Mélanchon), la droite, comme un républicain pragmatique. Mais il n'a jamais fait l'unanimité en Uruguay. S'il incarne une certaine éthique personnelle, son gouvernement est critiqué pour la montée du clientélisme, les affaires de corruption et une gestion parfois laxiste de dossiers économiques et sociaux (pour beaucoup il se serait contenté de continuer la politique de Tabaré Vazquez, qui lui a précédé et succédé à la présidence). Il n'a jamais remis en cause le modèle des zones franches, instauré après la dictature. Ces 13 enclaves ne paient pas d'impôts, bénéficient des exonérations douanières et permettent aux multinationales de rapatrier librement leurs gains. Dans le même temps, environ 85 % de la charge fiscale repose sur les citoyens et les entreprises locales. Le déficit public s'est creusé lors de son passage, de 0,4% du PIB à 3,5%, reflet d'une augmentation des dépenses non compensée. La dette a aussi grimpé de 40,8% à 57,8% du PIB. Pour certains, s'il a évité d'augmenter les impôts, il a simplement reporté l'addition.

Une chose est sûre, José Mujica fut le dernier d'une époque révolue, avec ses ombres et ses lumières. Il incarne un pays indocile, où l'honneur et la douleur ont souvent marché ensemble. Qu'on le voie comme un héros ou un criminel, il restera une figure impossible à ignorer. Un peu de lui subsistera, à travers l'un de ses plus proches disciples, Yamandú Orsi, aujourd'hui président.

Descansa en paz, Pepe.

La sélection
L'interview de José - Uruguay, par Human (VOSTFR)
Regarder la vidéo sur Youtube
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
De la clandestinité au fauteuil présiden...
0 commentaire 0
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne
Lire en ligne