Ce que veut dire le « j’assume » d'Emmanuel Macron
Politique

Ce que veut dire le « j’assume » d'Emmanuel Macron

Par Louis Daufresne - Publié le 10/01/2022
En « emmerdant » les non-vaccinés, Emmanuel Macron voulait remobiliser les extrêmes ; il y est parvenu, comme le montrent les cortèges de samedi, quatre fois plus denses que les manifs du 18 décembre. Amusons-nous à lire Sylvain Fort, ex-plume du président, sur le mot de Cambronne, si rabelaisien. « Emmerder » nous rafraîchit un peu, donne de la chair humaine à un personnage que les manières androgynes situent à des années-lumière de la jovialité paillarde d'un Jacques Chirac, par exemple.

Vendredi à l’Élysée, Emmanuel Macron se justifiait ainsi : « On peut s'émouvoir sur des formes d'expression qui paraissent familières que j'assume totalement. » Cette phrase hybride reflète le « en même temps » et ses deux sens contraires : le premier minore le scandale, le second le confirme « on peut » rend la colère facultative, « s’émouvoir » est un verbe faible comparé à « s’indigner ». « Formes d’expression » esquive le caractère injurieux. « Paraissent familières » euphémise la vulgarité d'« emmerder ». Ces trois précautions oratoires, un rien doucereuses, se fracassent sur la conclusion « que j’assume totalement ». Pourquoi parler de deux sens opposés ? Parce que s'il n'y avait rien de scandaleux, il n’y aurait rien à assumer. Ce verbe signe un geste. « J'assume », c'est « j'assomme » et « j'assène » à la fois. On cherche à cogner, pas à relativiser.

« Assumer totalement » augmente l’effet produit. C’est d’ailleurs un pléonasme. Assumer, c’est « prendre sur soi, à son compte, avec toutes les implications de ce qu’on assume », indique le site Ortolang. Emmanuel Macron prendra-t-il sur lui toutes les conséquences de la remobilisation des antipasses, y compris si cela dégénère à la mode gilets jaunes ? C’est peu probable. Son « j’assume » se teinte d’un « j’accuse ». Le président met la crise sur le dos d’une minorité récalcitrante. Il se décharge sur l’irresponsabilité d’autrui. Assumer, dans son esprit, ne signifie pas qu’il endossera les conflits que ses paroles auront pu provoquer.

Le chef de l’État se gargarise avec ce verbe. Citons pêle-mêle :

Macron « assume » son weekend de Noël à Chambord (Huffington Post) ; Armement français au Yémen : Macron assume et certifie avoir obtenu des garanties (BFM) ; Macron assume avec fermeté sa politique migratoire (Le Figaro) ; Macron assume ses propos sur la France pas réformable (Cnews).

D’autres présidents eurent des tics de langage. François Hollande ponctuait ses discours de « ce n’est pas facile de » faire ceci ou cela, et Nicolas Sarkozy disait tout le temps « je vais vous le dire ». Ces tournures brassaient de l’air, ne se faisaient pas trop remarquer et ne blessaient personne, alors que « J’assume » claque au vent comme l'étendard d'un moi désordonné.

Mais de quoi ce verbe est-il le nom ?

En novembre, Jack Dion signait dans Marianne un article intitulé : « "J'assume", le "je vous emmerde" du Macron flingueur » ! Pour lui, cela signifie « Circulez, y a rien à voir » ou « Cause toujours tu m'intéresses ». C’est comme « c’est clair » ou « tu m’étonnes ». Toutes ces expressions sont faites pour vous clouer le bec. « J’assume » peut se décliner ainsi : « Tant pis pour vous si vous n’êtes pas d’accord, c’est mon choix et je n’en démordrai pas. »

Il y a de quoi séduire les vaniteux : l’employer, c’est se cabrer en inspirant à plein poumon, afin d’imiter les souverains isolés sur le piédestal de leur solitude où le destin les fige, et dire à la face du monde que l’on voit juste et loin, que l’avenir donnera raison au choix que l'on fait. « J’assume » confond grandiloquence et grandeur, se sert de l’une pour atteindre l’autre. C’est un artifice de théâtreux.

Artifice rime avec factice, mais il y a autre chose : assumer a une portée morale – qui permet de tout faire, de ranger le scrupule au fond des vieilles armoires de la décence publique, de revendiquer n’importe quelle attitude. « J’assume », c'est une déclinaison narcissique du « quoi qu’il en coûte », parce que j’en ai envie, autre terme futile du glossaire macronien. On se demande comment ses conseillers en communication purent lui recommander un tel mot.

Nul n’attend d’un président qu’il fasse état de ses envies et que, de surcroît, il les assume« Jamais, observe Jack Dion, [Emmanuel Macron] ne s'interroge sur ses choix,(...) jamais il n'envisage qu'on puisse y opposer des options contraires. Dans le magasin à pensées, il n'y a que les siennes. »

Le président n’a ni le monopole ni la paternité du « j’assume ». L’expression trahit la frivolité et l’incommunicabilité du temps présent.

- frivolité : peu importe qu'on n'ait pas grand-chose à dire, on le dit quand même. Avec « j’assume », la frime annexe le courage et le risque. On montre ses muscles mais c’est de la gonflette ;

- incommunicabilité : c’est une manière brutale, note Jack Dion, de « se réfugier derrière une phrase magique (…) dès qu'il s'agit de justifier l'injustifiable ».

Emmanuel Macron n'a pas envie de se justifier. En l'absence d'opposition, il n'en a pas besoin non plus.
La sélection
Ce que veut dire le « j’assume » d'Emmanuel Macron
"J'assume", le "je vous emmerde" du Macron flingueur
Marianne
S'abonner gratuitement
Ajoutez votre commentaire
Valider
Pourquoi s'abonner à LSDJ ?

Vous êtes submergé d'informations ? Pas forcément utiles ? Pas le temps de tout suivre ?

Nous vous proposons une sélection pour aller plus loin, pour gagner du temps, pour ne rien rater.

Sélectionner et synthétiser sont les seules réponses adaptées ! Stabilo
Je m'abonne gratuitement
LES DERNIÈRES SÉLECTIONS