
Bruno Retailleau, la trajectoire d'un Vendéen
On reconnaît un homme à ses actes, à ce qu'il fait comme à ce qu'il refuse de faire. Pendant la campagne pour l'élection du parti Les Républicains, le ministre de l'Intérieur des gouvernements Barnier puis Bayrou, a ainsi refusé de poser en famille en couverture de Paris Match. Un passage obligé, pourtant, pour tout candidat à de hautes fonctions. Mais pas pour lui, qui gardera sa discrétion habituelle quant à son épouse et à ses trois enfants, tout comme sur leur résidence à Saint-Malô-du-Bois, en Vendée bien sûr, au piano trop silencieux et au jardin riche de 200 roses. « Mon équilibre est là. Je ne peux pas vivre sans animaux, je suis un rural. C'est un rapport au lieu, un rapport au temps, un enracinement. On sait ici que, pour moissonner, il faut avoir semé avant ».
Cela ne l'empêchera pas de sortir vainqueur de son duel avec Laurent Wauquiez, avec 74% des suffrages des 122 000 adhérents LR. Que ce soit bon ou mauvais signe pour la reconstruction du parti de droite ou en vue de l'élection présidentielle de 2027, pour laquelle il est désormais donné présent au second tour, Bruno Retailleau plaît à droite tout autant qu'il déplaît à gauche. Mais qui est vraiment l'ex-patron des sénateurs LR, donné aujourd'hui comme la meilleure chance de la droite pour les prochaines présidentielles ? D'abord un Vendéen fin et sec, au regard acéré caché derrière ses lunettes, les pieds ancrés dans la terre, l'histoire et les lettres. Dans son bureau de ministre, les murs ocre ne sont désormais ornés que de deux petites photographies en noir et blanc : à gauche, le maréchal Jean de Lattre de Tassigny ; à droite, l'ancien président du Conseil Georges Clemenceau, passé par l'Intérieur lui aussi. Deux Vendéens, comme lui. « Beaucoup ont voulu m'enfermer dans une caricature, celle de la Vendée, synonyme de fermeture », confie-t-il. « La Vendée c'est tout l'inverse, c'est l'ouverture. C'est en Vendée que j'ai appris que le goût de l'effort valait mieux qu'une subvention. » Son pas de côté, c'est la lecture. Sans doute pas le loisir le plus branché du moment, et qui se fait rare dans le monde politique... « Les livres sont pour moi un objet sensuel. Je les annote, je les souligne », confesse-t-il. Ce fils d'un marchand de grains, natif de Cholet, passé par Sciences Po, a grandi aux côtés de Philippe de Villiers, entre cavaliers au Puy du Fou, mise en scène de Cinéscénie, direction de Radio Alouette puis direction de Sciences Com à Nantes. De Villiers le pousse également vers le Conseil général en 1988, puis à l'Assemblée nationale en 1994 après sa victoire aux élections européennes. Vice-président du Conseil régional derrière François Fillon en 1998, c'est en 2004 qu'il rejoint le sénat, avant de devenir président du Conseil général de Vendée en 2010, au lendemain de sa rupture avec son mentor, puis de présider le groupe UMP au sénat à partir de 2014. « Si on veut gagner dans les urnes, il faut gagner les cœurs et les esprits », déclarait-il au soir de sa victoire face à Laurent Wauquiez. « Nos idées sont majoritaires dans le pays. Il nous faut convaincre les Français que nous saurons les porter sans les trahir. Déjà, ils sont prêts à nous refaire confiance. Nous n'avons pas le droit de les décevoir. Et pour cela, nous devrons tenir la ligne ; imposer nos convictions sans plus nous soumettre au politiquement correct ; proposer un projet puissant et innovant, qui rompt avec les idées ressassées depuis des années. »
Dans le portrait chinois proposé par France Bleu il y a dix ans cela, on apprend que son mot préféré est le courage, « la vertu qui détermine toutes les autres », et qu'il déteste le mot « terreur », « car pour le Vendéen que je suis, il évoque une période sombre de notre histoire, et pour tous les Français, il prend aujourd'hui une dimension malheureusement très concrète, celle du terrorisme islamiste. » Mais il aura fallu qu'il succède à Gérald Darmanin dans l'éphémère gouvernement Barnier, pour sortir de l'ombre de la politique, et que la majorité des Français le découvre. S'il n'a pas les mains libres, encore aujourd'hui, pour agir à son gré, il tente de faire au mieux et le fait savoir, que ce soit sur la question de l'expulsion des OQTF (obligation de quitter le territoire français), ou lors du meurtre de la jeune Philippine. Mais avec sincérité et sans se soucier du politiquement correct. « Depuis qu'il est ministre, il a goûté au pouvoir », confiait récemment une élue au Figaro. Élu à la tête de LR, le locataire de la place Bauveau a notamment reçu l'onction de Nicolas Sarkozy, un autre ex-ministre de l'Intérieur devenu Président de la République. « Bruno est constant dans ses convictions fondamentales, mais ce n'est pas un idéologue », confie en sortant de son silence médiatique François Fillon, le candidat malheureux de la présidentielle de 2017. « Il est réaliste et il est pragmatique. C'est d'ailleurs cela qui explique selon moi une si large victoire. Les électeurs n'ont pas choisi une ligne. Ils ont choisi un homme authentique. Et qui est cet homme ? C'est l'anti-Macron. Il est ancré à droite, catholique affirmé, et allergique au « en même temps ». Mais pour entrer à l'Élysée, la marche est encore haute. Même, si comme le conseillait jadis Mitterrand à Philippe de Villiers, il faut savoir les monter une à une, avec patience. Mais à 64 ans, n'a-t-il déjà pas su patienter dans l'ombre de ses mentors ? Comme celle de LR, la prochaine élection présidentielle pourrait bien se jouer sur un seul mot : l'authenticité.