Écologie

Aurélien Barrau : « Nous sommes des vivants qui n'aimons plus la vie »

Par Louis Daufresne - Publié le 08/12/2023 - Photo : Radio Francd

Quand on le voit, avec ses cheveux longs de hippie, on dirait un animateur de colo. Mais quand on l'entend, Aurélien Barrau nous fait changer d'échelle : cet astrophysicien de 50 ans parle un peu comme un gourou, un voyant extra-lucide, ivre de peur et de certitude.

S'il dirige le Centre de physique théorique de Grenoble, c'est comme essayiste qu'il s'est invité au Grand face-à-face de France Inter, le seul media qu'il a choisi pour promouvoir « L'Hypothèse K. La science face à la catastrophe écologique » (Grasset). K du grec karkinos, comme « cancer ».

Le titre fait penser à un album de Blake et Mortimer. Sauf que Barrau, prospectiviste, ne vit pas dans la fiction. C'est un tenant de l'idéologie « collapso-décroissanciste ». Le pire est devant nous et pour bientôt. Et en plus, ce que l'on prétend faire ne sert à rien. Lisez plutôt : « Le climat ne joue aucun rôle dans ce qui nous arrive, lâche-t-il devant les journalistes éberlués. Ce sont l'ensemble des piliers qui définissent l'habitabilité de cette planète qui sont en train de céder et la raison pour laquelle on se focalise sur le climat, c'est parce que c'est le seul de nos problèmes qui peut laisser perdurer l'impression totalement délirante que nous sommes face à un problème technique exigeant une solution technique. »

Barrau fustige le techno-solutionnisme qu'il juge « abject ». Cet ovni brillant, mi-scienteux, mi-lettreux, réconcilie science et humanité. Le cloisonnement des disciplines, propre au capitalisme, empêche de penser. Jacques Ellul, sociologue et théologien, voyait déjà que le système technicien s'engendrait lui-même. Barrau y voit une aliénation. Le spécialiste des trous noirs entend ici nous rendre la vue. Son élocution lubrifiée et ses mots millimétrés le font prophétiser. On dirait l'Apocalypse de saint Jean avec « les étoiles du ciel [tombant] sur la terre ».

Barrau est-il barré ? Non. L'amateur d'Univers primordial est un radical et si sa révolution recycle une doxa de gauche, il a le mérite de pêcher en eaux profondes. Ce qui l'obsède, c'est le sens de notre présence ici-bas. Son numéro sur France Inter fouette les âmes blasées : « Nous sommes des vivants qui n'aimons plus la vie », professe-t-il.

Barrau pointe alors une opposition métaphysique, « la plus grande qu'on ne met jamais sur la table », celle entre le prosaïque et le poétique. Le premier renvoie à la pulsion de mort, le second à la pulsion de vie.

Puisque toute idée se traduit par les oppositions qu'elle structure, Barrau en sort une tirade : « Le prosaïque, c'est l'utilisation d'une chose ; le poétique, c'est la chose en tant que telle. Le prosaïque, c'est la communication ; le poétique, c'est la communion. Le prosaïque, c'est la fabrication, la maîtrise, l'exploitation, le mesuré, le reproductible, le mécanique, l'utile ; le poétique, c'est tout le reste, la création, le sauvage, le surgissement de la présence ». Barrau estime que « l'oubli ontologique de ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes » fait que « nous sommes en train d'aller vers notre suicide ».

Ici, poétique ne rime surtout pas avec cosmétique  : « Le poétique, dit-il, ce n'est pas le doré sur le cadre, ce n'est pas une préoccupation d'intellectuel qui a envie de s'asseoir au bord de la rivière et de prendre une rose dans ses dents. Le poétique, c'est la vie, c'est l'essentiel, c'est ce qui nous définit, qui fait que je ne suis pas cette table et que vous n'êtes pas ce micro ; c'est le sens de l'existence », lequel s'oppose à « l'inertie machinique ».

Existence veut dire s'extraire, s'autoriser à être, c'est-à-dire déjouer l'attendu, à rebours de « la profusion métastatique de la technologie » dont la dimension systémique est le cancer de notre temps. Or, la science ne peut pas nous dire ce que l'on veut ; elle n'a pas de vision du monde. Alors pourquoi lui confier les clefs suivant l'adage « je peux le faire, donc je dois le faire » ?

Attaquant à la racine, Barrau démythifie la pensée positive autour du durable. La question se résume ainsi : pourquoi rendre durable ce qui n'est pas souhaitable ? Cette catastrophe civilisationnelle, on la doit à Galilée qui « s'est constitué en exégète de la nature ». Cessant d'en contempler le mystère, il ouvrit la voie à la « désublimation du réel » et s'embarqua dans le Titanic de la grande transformation qui est en train de tout couler.

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La sélection des commentaires
Le 09/12/2023 à 11:09
De très justes intuitions...
3 commentaires
Mary
Le 09/12/2023 à 09:15
J'aime écouter ces conferences
Le 09/12/2023 à 07:01
Voilà un discours qui colle parfaitement au nouvel évangile et plus précisément à la "révélation"
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