Au-delà du nationalisme : vérité et réconciliation entre Polonais et Ukrainiens
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Au-delà du nationalisme : vérité et réconciliation entre Polonais et Ukrainiens

Par Peter Bannister. Synthèse n°1830, Publiée le 23/02/2023 - Photo : monument à Cracovie - "les victimes n'appellent pas à la vengeance mais à la mémoire" (Wikimedia Commons)
Le nationalisme ukrainien est-il dangereux ? En lisant le catalogue dressé par Lev Golinkin dans Tribune Juive (voir LSDJ n°1819) des monuments à Stepan Bandera et d'autres nationalistes ukrainiens ayant collaboré avec les Nazis, on pourrait certainement s'inquiéter. Pourtant, tout en partageant sa critique de la réhabilitation de Bandera, les historiens spécialisés (Andreas Umland, John-Paul Himka, Adrien Nonjon) offrent une vision plus complexe de celle de Golinkin qui va jusqu'à parler d'une « nostalgie pour l’extermination des Juifs » en affirmant que « le culte du nazisme est plus que rampant en Ukraine ».

Sous le président Petro Porochenko (2014-2019), la « décommunisation » ukrainienne a certes voulu remplacer les symboles de l’URSS par ceux des « héros » du nationalisme, dont certains avaient non seulement collaboré avec les Allemands mais aussi tué près de 80 000 Polonais en Volhynie entre 1943 et 1945. Ce serait pourtant excessif de dire que cette période sombre serait en elle-même l’objet d’une glorification contemporaine. Les nationalistes actuels louent plutôt la lutte anti-soviétique des indépendantistes après 1945 (Bandera fut assassiné par le KGB en 1959) en occultant leur idéologie fasciste antérieure. Cette vision sélective de l’histoire est évidemment fort critiquable, mais elle ne constitue pas un plaidoyer national pour le nazisme (des millions d’Ukrainiens ont combattu contre les Allemands dans les rangs de l’armée soviétique). Même si les lois de décommunisation passées en 2015 peuvent être jugées trop indulgentes envers le nationalisme, elles ont néanmoins rendue illégale toute propagande nazie en Ukraine.

Quant à l’idée d’une nostalgie ukrainienne pour l’extermination des Juifs, elle est contredite non seulement par l’élection d’un président juif (Zelensky) et l’échec de l’extrême-droite en 2019, mais aussi par le Pew Research Center qui a montré en 2018 que l’Ukraine était le pays le moins marqué par les sentiments anti-juifs (5%) dans toute l’Europe de l’Est. L’antisémitisme a été criminalisé, et même le fameux bataillon Azov, très critiqué pour ses liens historiques avec le nationalisme radical, a affiché sa volonté de changer son image, envoyant une délégation en Israël en 2022, où on a comparé la défense de Mariupol avec celle de Massada. Zelensky a par ailleurs nommé le directeur du programme éducatif de Babi Yar Anton Drobovych à la tête de l’Institut de la Mémoire Nationale (remplaçant son prédécesseur nationaliste), dont la position face au négationnisme est claire :

« Si des membres de l’armée ukrainienne des insurgés, des Forces rouges ou de la Wehrmacht ont commis des crimes contre l’humanité, ces personnes doivent en assumer la responsabilité et il est nécessaire de parler de ce crime ouvertement et honnêtement. Le patriotisme et les intentions positives ne peuvent pas excuser les meurtres ou les crimes de guerre. »

Cependant, ces propos collent mal avec la décision du parlement ukrainien d'officialiser la célébration de l'anniversaire de Stepan Bandera le 1er janvier, soulevant une protestation forte du premier ministre polonais Mateusz Morawiecki :

« Face à n’importe quelle glorification ou même le souvenir de Bandera, nous sommes extrêmement critiques – très, très négatifs […] On ne peut pas être accepter l’application d’un « tarif réduit » à ceux qui ne veulent pas reconnaître que ce terrible génocide était quelque chose d’inimaginable. »

Cette réaction aux tentatives de blanchiment des nationalistes ukrainiens du passé peut sembler paradoxale, venant de l’allié international le plus proche de l’Ukraine. Elle est pourtant cohérente avec ce qu’on pourrait appeler (faisant référence à l’Afrique du Sud) une recherche de « vérité et réconciliation » par Varsovie face à une histoire commune très difficile. Lors d’une cérémonie en juillet 2022 commémorant les massacres de Volhynie, le Président polonais Andrzej Duda a condamné ce « nettoyage ethnique » de la minorité polonaise, tout en admettant que les mêmes meurtriers ukrainiens pouvaient être, « à d’autres moments et face à un autre ennemi » [l’URSS], des « héros » dans leur lutte pour l’indépendance. Avant tout, Duda a essayé de distinguer mémorialisation et volonté de revanche, soulignant que la réconciliation nécessite non seulement le travail honnête des historiens, mais avant tout la bonne volonté des peuples, concrétisée dans l’accueil aussi remarquable que spontané de plus de 3 millions de réfugiés ukrainiens en Pologne :

« Ce qui se passe aujourd’hui entre Polonais et Ukrainiens est la meilleure preuve qu’il ne s’agit pas de se venger. Car toute la nation [polonaise] se souvient. Il n’y a pas de Polonais aujourd’hui qui ne sache pas ce qu’était le massacre de Volhynie. Et pourtant ils accueillent des Ukrainiens sous leur toit […] Nos deux peuples seront amis et alliés, tout en se souvenant de l’histoire, en priant, en honorant ceux qui ont été tués, mais aussi en comprenant qu’il y a eu des moments difficiles et des erreurs dramatiques, tragiques […] qui ne devront jamais plus se répéter. »
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Au-delà du nationalisme : vérité et réconciliation entre Polonais et Ukrainiens
Commémoration des massacres de Volhynie sous le signe de la réconciliation
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