Sciences

Comment des anomalies initient des révolutions scientifiques

Par Janus Maat - Publié le 15/02/2024 - Photo : Wikipedia - Nicolas Copernic observant les astres

«  Il n'y a plus rien à découvrir en physique ­aujourd'hui. Tout ce qui reste à faire, c'est d'améliorer la précision des mesures ». Cette citation, très peu optimiste, on la doit à la fin du XIXe siècle à Lord Kelvin, un des physiciens les plus célèbres de l'époque. La théorie de Maxwell décrit alors parfaitement les forces électromagnétiques, et Newton a donné au monde une description de la gravité sans appel. Kelvin reconnaît deux observations qu'il reste à expliquer : pourquoi la vitesse de la lumière est constante et le comportement étrange de la température émise par un corps chauffé à blanc, problème dit du « corps noir ». Bien mal lui a pris de s'exprimer ainsi. La première anomalie conduira à la révolution de la théorie de la relativité menée par Einstein et la seconde à la révolution quantique initiée par Planck. Tout cela en moins de 5 ans, entre 1900 et 1905.

Cette situation est très loin d'être exceptionnelle. Les révolutions en physique ont souvent été déclenchées par la présence d'anomalies dans des observations, trop longtemps négligées, les physiciens pensant que des mesures plus précises remettront l'église au centre du village. Il n'en est rien.

Souvenons nous de Kepler qui, lorsqu'il mesure la trajectoire de la planète Mars, comprend que son mouvement n'est pas exactement circulaire mais légèrement elliptique. Cette légère difformité permet à Newton de développer quelques décennies plus tard sa théorie de la gravitation Universelle, et de placer le Soleil au foyer d'une ellipse.

Rappelons nous Urbain le Verrier. En observant le mouvement peu orthodoxe de la planète Uranus, il en déduit par simple calcul la présence d'une nouvelle planète, invisible à l'œil nu, mais dont les effets gravitationnels perturbent le mouvement de sa voisine. Quelques mois plus tard, un astronome Allemand observe cette nouvelle planète exactement là où l'avait prédit l'astronome français. Neptune est découverte, une fois de plus, grâce à une anomalie. Un détour au cimetière Montparnasse se mérite pour y observer la sépulture de Le Verrier, chapeautée de la planète Neptune.

Le Verrier remarque aussi une anomalie dans le mouvement de Mercure, la planète la plus proche du Soleil. Il prédit alors la présence d'une neuvième planète qu'il baptise Vulcain du fait de sa proximité avec le chaudron solaire. Échec. Aucune planète ne fût découverte et l'anomalie persista. Il fallut attendre Einstein, en 1915, avec sa théorie de la relativité générale de la gravitation pour remettre fondamentalement en cause les lois du mouvement de Newton. Dans cette nouvelle théorie, Einstein décrit la course des planètes et des astres dans un espace courbé et explique ainsi parfaitement l'anomalie de la précession de Mercure. Il prédit également la déviation de la lumière par des corps massifs comme le Soleil, distinguant ainsi sa théorie de celle de Newton. L'observation de cette déviation en 1919 par l'astronome britannique Eddington propulse alors Einstein au firmament des célébrités scientifiques… grâce une fois de plus à une anomalie.

1896, Becquerel laisse négligemment des sels d'uranium sur une plaque photographique qu'il range dans un tiroir. Allez savoir pourquoi, 3 jours plus tard, le dimanche 1er mars 1896 il décide de développer la plaque et remarque : « Le soleil ne s'étant pas montré de nouveau les jours suivants, j'ai développé les plaques photographiques le 1er mars, en m'attendant à trouver des images très faibles. Les silhouettes apparurent, au contraire, avec une grande intensité.  » Cette anomalie n'était rien de moins que la découverte de la radioactivité ! Pour les curieux d'entre vous, si vous vous promenez dans le jardin des Plantes de Paris, faites un détour à l'entrée du 47 rue Cuvier, vous y découvrirez la modeste inscription : «  Dans ce laboratoire, Henri Becquerel a découvert la radioactivité le 1er Mars 1896  ».

Quelques années plus tard, Planck étudie le spectre en température émis par un corps chauffé. Les données ne correspondent pas aux théories de Maxwell. Il décide alors d'imaginer que la source de cette chaleur est un ensemble discontinu de petit ressorts qui oscillent (ce que nous appelons atomes) et l'anomalie disparaît comme par miracle. Planck vient d'initier la révolution quantique et l'avènement de la physique atomique en expliquant une fois de plus une légère anomalie.

En 1911, Lise Meitner et Otto Hahn observent, à la suite du couple Curie, que l'énergie ne semble pas conservée dans les désintégrations radioactive Beta. Il faudra le génie d'un physicien du nom de Pauli pour postuler l'existence d'une nouvelle particule, véritable fantôme voleuse d'énergie, le neutrino. Cette particule imaginée pour parer l'anomalie de la non-conservation de l'énergie sera finalement découverte en 1956.

Et plus récemment encore, Adam Riess veut vérifier les théories d'Einstein sur l'Univers. Il calcule alors son taux d'expansion à partir de l'observation des vitesses de récession des supernova, explosions géantes d'étoiles massives. Qu'elle n'est pas sa surprise lorsque ses calculs montrent que l'Univers s'étend de manière accélérée. Il découvre ainsi l'énergie noire.

Et que dire de Zwicky, qui en mesurant les vitesses des galaxies en 1933 se rend compte que leurs vitesses sont bien plus grandes que celles prédites par la théorie, et postule ainsi la présence de matière noire ?

Kepler, Newton, Becquerel, Curie, Planck, Einstein, Pauli, Zwicky, Riess… la vision actuelle de notre Univers repose en grande partie sur l'existence de légères anomalies. Certains ont su saisir leur importance pour construire un nouveau paradigme sur lequel se sont bâties les nouvelles théories. Celles-ci auront j'en suis sûr à leur tour, leurs propres anomalies dont les corrections feront ensuite avancer la science. À quand le nouvel Einstein ?

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