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Trump/Musk, une rupture scénarisée et profitable

Par Raphaël Lepilleur. Synthèse n°2513, Publiée le 26/06/2025 - Photo : Le président Donald Trump participe à une conférence de presse avec Elon Musk, conseiller sortant du DOGE, le vendredi 30 mai 2025, dans le Bureau ovale. Crédits : Photo officielle de la Maison Blanche / Molly Riley.
Derrière le « clash » Trump/Musk, une rupture de façade ? Spectaculaire et très commentée, elle a surtout été lue dans un seul sens. En pleine ère de la politique-spectacle, où la forme prime sur le fond, cette séquence très scénarisée sur les réseaux semble avoir éclipsé des sujets sensibles et permis, peut-être, aux deux protagonistes de sortir renforcés d'un chaos qu'ils ont eux-mêmes provoqué.

Tout commence le 3 juin lorsque Musk dénonce sur X le projet de loi de Donald Trump, « One Big Beautiful Bill », le qualifiant « d'abomination », en pointant l'impact sur la dette. De nombreux observateurs y voient aussi une défense de ses intérêts, car le texte prévoit la suppression de plusieurs crédits d'impôt, notamment ceux destinés à l'achat de véhicules électriques (crucial pour Tesla). Il remettrait aussi en cause certaines subventions liées aux contrats spatiaux, fragilisant potentiellement Starlink. Le ton monte rapidement. Le 6 juin, Trump répond en le traitant d'« ingrat mégalomane » qui aurait bâti sa fortune grâce à l'argent public. Musk contre-attaque en évoquant la présence supposée de Trump dans les dossiers Epstein. L'un accuse l'autre de folie paranoïaque anti-Trump; l'autre menace de couper des satellites. Trump relaie des accusations du New York Times sur la toxicomanie supposée de Musk. Ça vire à la cacophonie et il devient difficile de suivre qui accuse quoi, ni pourquoi. Un flou voulu ?

Fin mai, Musk quitte son poste au DOGE, le département chargé de traquer les dépenses superflues, où il officiait comme « employé spécial » (un statut inédit, limité à 130 jours, l'exemptant des règles sur les conflits d'intérêts). Un départ cordial où il remercie Trump pour l'opportunité offerte. Le président le salue en retour comme « un patriote visionnaire ». Dans une interview sur CBS le 27 mai, il critique déjà le projet BBB, mais de manière mesurée. Une parenthèse gouvernementale qui aura surtout révélé une incompatibilité. Figure atypique, autiste asperger, il a peiné à composer avec les contraintes hiérarchiques et les arbitrages politiques. Son style direct, sa posture d'indépendance revendiquée, ainsi que des divergences de fond, ont alimenté de fortes tensions avec plusieurs membres de l'exécutif (Sergio Gor et Peter Navarro notamment). Dans les médias, il s'est aussi retrouvé au cœur des polémiques. Un profil détonant, difficile à intégrer et qui n'a pas bénéficié de la bienveillance souvent réservée aux porteurs de handicap.

Symptôme révélateur d'une volonté de rupture, le 31 mai, Trump retire la candidature de Jared Isaacman, proche de Musk, pour diriger la NASA. Officiellement, il l'explique par ses anciens dons à des élus démocrates. Une justification vue comme un prétexte. Plusieurs sources évoquent plutôt des désaccords stratégiques entre Trump et Musk à propos de l'agence spatiale, où Musk occupe une place majeure via SpaceX. Pour Trump, il s'agissait aussi d'éviter un scandale d'ingérence. L'affaire expose la guerre ouverte entre Musk et Sergio Gor, influent directeur du personnel de la Maison-Blanche (que Musk accuse désormais de crime). Sergio Gore (soutenu par JD Vance) aurait orchestré en coulisses le blocage de la nomination de Jared Isaacman. Des théories plus marginales évoquent aussi des tensions autour d'un refus de partage de données sensibles de Starlink avec la Maison-Blanche. D'autres suggèrent qu'Elon Musk aurait eu accès à des informations compromettantes sur Trump, le poussant à prendre ses distances.

Le 3 juin, la sénatrice démocrate Elizabeth Warren publie un rapport au titre explicite Special Interests over the Public Interest : Elon Musk's 130 Days in the Trump Administration (à retrouver en sélection). Très marketé (130 accusations pour 130 jours au gouvernement), le document entend démontrer que Musk aurait utilisé sa position au DOGE à son profit. Il évoque des conflits d'intérêts, des obstructions, des interférences auprès d'agences fédérales, et vise aussi Trump, accusé d'avoir taillé un poste sur mesure pour Musk. Si le bien-fondé de certaines accusations peut être discuté, le fait est que ce rapport est passé sous les radars.

L'hypothèse d'une brouille de business autour de crédits d'impôt paraît définitivement trop anecdotique pour expliquer la rupture. Dans cette optique, difficile d'ignorer la rapidité avec laquelle la tempête s'est dissipée. Alors que le monde anticipait l'impact d'une guerre ouverte entre les deux, Musk a présenté des excuses en admettant être « allé trop loin ». Trump, en retour, s'est dit « reconnaissant ». L'action de Tesla, après une chute en Bourse, retrouve presque son niveau antérieur. Les accusations de toxicomanie sont balayées. Toujours aucun document concernant l'affaire Epstein n'a fuité. Si l'objectif était de détourner l'attention, c'est réussi.

Pour Donald Trump, l'épisode a permis de se délester d'un allié devenu encombrant à l'approche des élections de mi-mandat. Quant à Elon Musk, il s'est repositionné en figure indépendante du pouvoir, tout en entretenant son image antisystème (jusqu'à être candidat ?). Leur relation est redéfinie. Tout a été réduit à un face-à-face. Le reste a été occulté. Ni le fond du One Big Beautiful Bill, au-delà des crédits d'impôt, ni le rapport Warren, ni le bilan réel du DOGE, ni les tensions stratégiques entre Musk et certains piliers de l'administration n'ont été véritablement explorés. Comme souvent en politique spectacle, dont Trump est un pionnier, ce sont les conflits visibles qui l'emportent. Or, une information non médiatisée dans l'instant tend à disparaître durablement…

La sélection
Special interests over the public interest : Elon Musk’s 130 days in the Trump administration
Lire le rapport de la sénatrice Elizabeth Warren
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