
Un troublant trou noir...
« Voyager dans le temps, c'est regarder loin ». Cette maxime à la forme de dicton populaire est à la fois pleine de bon sens, et, en même temps, reste troublante. On demande souvent aux physiciens qui travaillent sur les origines de l'Univers, des étoiles ou des galaxies, quel outil leur permet de remonter le temps. Auraient-ils inventé la machine à la « H.G. Wells » ? En quelque sorte, oui. Et pour être exact, c'est Galilée qui a mis au point la première machine à remonter le temps : la lunette astronomique.
En effet, une des particularités de la lumière est qu'elle se propage dans l'espace à vitesse finie. Cela veut dire que vous ne voyez pas le soleil tel qu'il est, mais tel qu'il était il y a 8 minutes, puisque la lumière met 8 minutes à nous parvenir. Je vous laisse relire cette phrase, et y réfléchir un moment avant de continuer la lecture… Bien. Ce principe s'applique évidemment à toutes les étoiles que vous observez dans un ciel nocturne sans nuages. Notamment la plus proche, Proxima Centauri, qui se trouve à quatre années-lumière, ce qui veut dire que la lumière a mis 4 années à parcourir la distance qui sépare l'étoile de votre pupille. Ceci étant vrai pour toutes les étoiles du ciel, vous ne voyez donc pas le ciel tel qu'il est, mais des tranches de temps, chaque étoile ayant émis leur lumière à des instants différents. Je vous laisse relire cette phrase, et y réfléchir un moment avant de continuer la lecture. En d'autres termes, construire un télescope qui voit loin, c'est être capable de prendre une photo instantanée de l'Univers tel qu'il était aussi loin que le télescope est capable de voir. Et le James Webb télescope (JWST pour James Webb Space Télescope) est actuellement l'instrument le plus puissant construit des mains de l'homme. Il est dans la capacité de voir de la lumière émise il y a plus de… 13 milliards d'années ! En clair, il observe l'Univers tel qu'il était au tout début de la formation des étoiles et des galaxies, « quelques instants » après le Big Bang qui a eu lieu, lui, il y a 13,8 milliards d'années. Et ses dernières prises de données ont réservé quelques belles surprises aux astronomes.
Début août, des astronomes de l'Université du Texas affirment avoir découvert, dans la galaxie Capers-LRD-z9, le trou noir supermassif le plus ancien jamais observé. Cette galaxie, dont le nom évoque un mot de passe Google, a émis sa lumière 500 millions d'années (seulement) après le Big Bang. Autrement dit, aux débuts de l'Univers. La première question qui vous vient à l'esprit est évidemment : « Mais comment voir un trou noir, qui, par définition, est… noir ? ». En fait, il est évidemment impossible de « voir » un trou noir de manière directe, mais tout ce qu'il absorbe, glouton qu'il est, émet un spectre de couleurs assez facile à identifier. Le gaz qui l'entoure frotte tellement, qu'il chauffe et émet une lumière très particulière.
L'autre point qui intéresse les physiciens est la couleur de ce type de galaxie, appelée « petits points rouges » en référence à sa couleur dominante. Cette couleur rouge s'explique parfaitement par l'appétit du trou noir supermassif en son cœur, qui est 300 millions de fois plus massif que le Soleil ! Quasiment la masse d'une galaxie. Et la lumière rouge est la conséquence directe du réchauffement intense des gaz attirés par le trou noir central. La grande surprise, quant à elle, est la masse colossale de ce trou noir. Il est en effet impossible pour un trou noir de grandir simplement par gloutonnerie des étoiles environnantes, par pure absorption, en si peu de temps. « Cela renforce les preuves de plus en plus nombreuses que les premiers trous noirs se sont développés beaucoup plus rapidement que nous le pensions », estime Steven Finkelstein, un des auteurs de l'étude. « Ou alors, ils étaient au départ bien plus massifs que ce que prédisent nos modèles ».
Notons que ces observations ont été l'occasion de voir fleurir des théories alternatives, dont l'une qui propose un Univers deux fois plus âgé, avec un Big Bang relégué à plus de 30 milliards d'années. Cela donnerait plus de temps au trou noir pour absorber son déjeuner, et atteindre sa taille actuelle. D'autres ont profité de cette « supermassivité » pour remettre en cause la présence de matière noire, ou le modèle cosmologique standard. En effet, la galaxie étant très lumineuse, il serait impossible pour la matière noire, qui joue le rôle de glue gravitationnelle dans l'Univers, d'avoir le temps d'attirer autant d'étoiles en si peu de temps. Maintenant que les physiciens ont compris que beaucoup de lumière (et de masse) est en fait émise par le trou noir lui-même, et que les nouveaux modèles d'étoiles montrent qu'elles sont plus lumineuses que prévu dans leurs premiers millions d'années, le modèle cosmologique standard est plus renforcé que jamais. Il n'en reste pas moins que la formation de ces trous noirs supermassifs, aux tout premiers instants de l'Univers, reste un mystère, qui pourrait être levé lors des prochaines observations de JWST. Une des hypothèses les plus en vogue en ce moment serait un effondrement soudain d'une surdensité de matière aux tout premiers instants : ce sont les trous noirs primordiaux. De nombreuses expériences sont justement à leur recherche. Soyons donc patients !