Repeupler les déserts médicaux est-il possible ?
Santé

Repeupler les déserts médicaux est-il possible ?

Par Louis Daufresne - Publié le 28/01/2022

Il y a deux campagnes, celle qui mobilise media et candidats parisiens et celle qu'on abandonne à son sort de pays perdu et dont les « déserts médicaux » sont l'un des visages. Selon les calculs, entre 3,7 et 7,4 millions de personnes habitent une « zone sous-dense ». L'accès aux généralistes y est limité à deux ou trois consultations par an ; chez les spécialistes, les délais de rendez-vous s’y comptent parfois en mois.



La pénurie est si flagrante qu’elle suscite des réflexes de chasseurs de prime. L’AFP cite l’exemple de Barneville-Carteret (2300 habitants l'hiver, 12000 l'été). Malgré sa côte splendide et son cadre paisible, les médecins boudent cette petite station balnéaire du Cotentin. En juillet, le maire David Legouet paie 6000 euros pour diffuser une annonce dans le magazine d'un syndicat de jeunes généralistes. « On a eu une seule réponse, choquante », se désole-t-il. La voici : « Je veux une prime d'installation, un logement de fonction, une voiture de fonction, un terrain me permettant d'envisager construction, l'assurance de maintenir mon salaire qui est actuellement de 6770 euros après impôts. Ces conditions remplies, je m'engage avec vous pour dix ans. »



La commune ne compte plus que trois médecins, dont un couple qui va prendre sa retraite. Ils étaient cinq il y a trois ans. David Legouet rappelle qu'un médecin qui s'installerait chez lui recevrait une aide de l'État de 50000 euros sur cinq ans et pour quatre jours de travail par semaine. Dès lors, ajoute-t-il, « comment expliquer qu'on loge un médecin gratuitement alors que vous avez au moins 30 familles qui attendent un logement social ? »



Moralement insoutenable, cette surenchère n’est pas une solution. Mais y en a-t-il ? L’État joue sur quatre leviers :



1. La formation. Le numerus clausus mis en place en 1972 sans réelle évaluation des besoins de santé avait fait chuter le nombre de médecins de 60 % dans les années 90. La loi Buzyn le supprima en 2019. L’État escompte un effet mécanique : « En formant de plus en plus de médecins, les zones urbaines favorisées finiront par être saturées et ils iront combler les besoins non couverts dans les zones mal desservies » (source : Drees). Dans les faits, la filière demeure sélective et la capacité de formation limitée. Et vu la longueur des études, la fin du numerus clausus ne peut se faire sentir qu’à long terme. Or c’est aujourd’hui que la démographie médicale recule et que la population française augmente et vieillit. Du reste, comment concilier un cursus sélectif et une logique comptable sans faire baisser le niveau d’exigence ? On le voit avec les médecins étrangers venant d’Afrique ou d’Europe, généralement mal formés. Cette piste n'est point la panacée.



2. La diversification : L’État veut « augmenter la part d’étudiants (…) issus de communautés défavorisées en termes d’accès aux soins » mais cette logique se heurte aussi au caractère élitiste de ce cursus. Un étudiant venu de zones moins pourvues s’y installera-t-il comme médecin ? Pas sûr. La diversification est aussi contredite par la gestion de plus en plus concentrée des établissements d’enseignement et de recherche. Cette option a donc des limites.



3. L’incitation : L’État observe que « les aspects financiers sont moins importants que d’autres aspects du métier de médecin comme le lieu d’exercice ». Un médecin isolé se condamnant à une de vie de galérien (nombre d’heures élevé, permanences nombreuses, etc.), aucune compensation financière ne sera en mesure de le convaincre de repeupler un désert médical, sauf à consentir à « des augmentations de revenu très élevées ». Surenchère impensable.



4. La régulation : La seule solution, pour David Legouet, serait d'obliger les jeunes généralistes à s'installer dans les zones désertées en début de carrière, comme le proposait un amendement voté récemment au Sénat mais supprimé par les députés. Mais ce genre de contrainte est mal vécue par les internes déjà pressurés au-delà du maximum légal de 48 heures hebdomadaires et sans lesquels l'hôpital s'écroulerait. 



Les déserts médicaux soulignent un conflit entre deux visions :



D'un côté, les médecins veulent la liberté d’installation, d’honoraires et de prescription. Ils plaident pour un État garant et non gérant. Après les sacrifices, ils veulent les bénéfices. La vocation médicale n’est pas comparable à celle, par exemple, des militaires. L’esprit sacrificiel n’y domine pas. Quand c’est le cas, on en fait un film. Médecin de campagne de Thomas Lilti (2016) souligne l’héroïsme du généraliste voué à ses patients déshérités.



De l'autre, la population et les élus aspirent à une médecine plus ou moins administrée. Cette politique se fracasse sur le tarissement démographique. Avant d'être médical, il y a le désert tout court. Paris et le désert français du géographe Jean-François Gravier remonte déjà à 1947. Une population vieillissante ne suffit pas faire venir un médecin. Il faut que des générations jeunes, actives et solvables procurent un bon volume d’activités et de relations sociales. Ce dernier point, l'humain, surpasse toute les logiques administratives et comptables.

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