
Des doutes sur l'efficacité des bombardements américains en Iran
Dans la nuit du dimanche 22 juin, Donald Trump a annoncé l'annihilation du programme nucléaire iranien dans une déclaration fracassante. Il était entouré pour l'occasion de son vice-président JD Vance, du secrétaire d'État Marco Rubio et du secrétaire à la Défense, Pete Hegseth. Sa déclaration faisait suite au bombardement par l'aviation américaine du centre de recherche nucléaire de Fordo, situé dans la province montagneuse de Qom, au sud de Téhéran, dans le cadre de l'opération Midnight Hammer. Il s'agissait d'une opération que seuls les Américains savent mener à ce jour. Sept bombardiers B-2 Spirit de la Whiteman Air Force Base, dans le Missouri, ont effectué un vol de dix-huit heures sans escale, avec ravitaillement en vol, pour bombarder le site. L'opération a mobilisé 125 avions au total, dont des avions de ravitaillement et des avions de combat.
Les B-2 Spirit ont largué, pour la première fois, quatorze bombes GBU-57A/B de 13.6 tonnes chacune, capables de pénétrer 61 mètres de béton ou de terre. En parallèle, trente missiles balistiques Tomahawk ont été tirés depuis des sous-marins américains situés en mer d'Arabie sur les sites nucléaires de Natanz et d'Isfahan.
L'opération est d'abord inédite, du fait de l'usage des bombes GBU-57A/B, que seuls les bombardiers B-2 Spirit sont habilités à transporter. Les premières générations de ces bunker buster furent testées pour la première fois par l'Air Force américaine en 2007. Leur programme de construction a démarré après l'invasion de l'Irak en 2003, alors que l'aviation américaine avait échoué à la destruction de plusieurs bunkers iraquiens avec les bombes de l'époque. Pour optimiser l'efficacité des dégâts sur les bunkers, la GBU-57 possède deux charges explosives : une première pour percer le béton et une seconde qui doit exploser au cœur du bunker, une fois le béton perforé. Les bombes sont téléguidées par le pilote du B-2 Spirit avant d'atteindre leurs cibles. Le profil de la GBU-57A/B est plus étroit que les autres bombes polyvalentes, afin de concentrer la force de l'explosion sur une zone bien ciblée. La majeure partie de son poids provient de son épaisse enveloppe en acier ultra résistant, appelé Elgin Steel. La charge explosive représente seulement 20 % du poids de la bombe.
La GBU-571/B est de loin la plus lourde de sa catégorie. Elle est suivie par la GBU-28, lourde de 2.27 tonnes et capable de pénétrer six mètres de béton. Suit la BLU-117, la bombe polyvalente plus grosse en superficie, pesant 907 kg et capable de pénétrer 3.4 mètres de béton. Enfin, la plus petite bombe utilisée par l'US Air Force, la GBU-39 SDH, peut enfoncer 1 mètre de béton et pèse 113 kg.
L'efficacité des bunker buster utilisés par l'Air Force à Fordo sera d'abord mesurée par le type de béton qu'ils sont capable de détruire. Les Iraniens ont par exemple développé la construction de sites sensibles avec du béton hyperperformant (Ultra High-Performance Concrete, UHPC), avec une résistance d'au moins 30 000 psi (pounds per square inch ou livres par pouce carré). L'unité PSI mesure la résistance à la compression du béton, soit la pression maximale que le matériau peut supporter. À cet élément s'ajoute la résistance de la roche qui recouvre le site de Fordo et qui peut être supérieure à celle du béton. Toutefois, l'aviation a ciblé des ouvertures extérieures de la base, ce qui évacue en partie cette question. Par ailleurs, l'évolution de la qualité du béton fut vraisemblablement prise en compte par l'armée américaine. En 2014, l'Air Force a développé sa propre version de béton 2.0, Elgin High-Strength Concrete, pour tester la résistance de ses nouvelles armes.
Malgré la sophistication de l'opération, son efficacité demeure controversée. Dès l'annonce des bombardements, le gouvernement iranien a affirmé que son programme nucléaire était intact, ce qui sous-entend que l'uranium enrichi n'était pas à Fordo. D'ailleurs, les niveaux de radiation mesurés après les bombardements étaient à des niveaux normaux, suggérant que le site ait déjà été évacué avant l'opération. Des images satellites ont montré des dizaines de camions chargés de matériel, en mouvement trois jours avant l'opération américaine. Un rapport de la Defense Intelligence Agency (DIA), rattaché au Pentagone, a appuyé la thèse iranienne, concluant que l'opération n'a repoussé que de quelques mois l'achèvement du programme nucléaire iranien.
Donald Trump et Pete Hegseth (le secrétaire à la Défense des États-Unis) ont nié les conclusions de la DIA, en affirmant que les camions photographiés autour de la base ne contenaient pas de l'uranium, mais du béton. Pour l'heure, l'AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique) affirme ne pas avoir plus d'informations sur l'état des 400 kg d'uranium enrichi. Le 25 juin, le directeur de la CIA, John Ratcliffe, a avancé que les bombardements américains avaient « sévèrement endommagé » le programme nucléaire iranien. Ratcliffe a ensuite précisé que le rapport de la DIA, se fondant sur des sources préliminaires, était déjà périmé. Il n'est pas rare que les agences de renseignement se contredisent entre elles sur des sujets d'une telle ampleur. Elles débattent encore, par exemple, sur les origines de la Covid-19.