
Nicolas Sarkozy exclu de la Légion d'honneur, c'est aussi un camouflet pour la France
Un arrêté publié le dimanche 15 juin par le Journal officiel de la République française annonce que Nicolas Sarkozy a été exclu des ordres nationaux de la Légion d'honneur et du Mérite. C'est la conséquence du rejet (le 18/12/2024) du pourvoi en cassation de l'ancien président de la République contre sa condamnation à trois ans de prison, dont un an ferme, pour corruption et trafic d'influence, dans l'affaire dite « Paul Bismuth ».
Cet arrêté précise que « cette exclusion entraîne la privation définitive de l'exercice des droits et prérogatives attachés à la qualité de membre de la Légion d'honneur ainsi que l'interdiction de porter les insignes de toute décoration française ou étrangère ressortissant à la grande chancellerie de la Légion d'honneur. » « Depuis la création de la Légion d'honneur par Napoléon Bonaparte en 1802, Nicolas Sarkozy est le deuxième chef de l'État à être exclu de l'ordre, le premier ayant été le maréchal Pétain en 1945 » relève Boulevard Voltaire (15/06/2025).
L'arrêté a été pris par le général Lecointe, grand chancelier de la Légion d'Honneur. Mais l'honneur est-il sauf dans cette affaire ? La décision est présentée par beaucoup, dans le camp gouvernemental, comme étant inévitable quoique regrettable. Elle a d'ailleurs été publiquement regrettée par l'actuel chef de l'État. « De qui se moque-t-on ? », s'indigne Emmanuelle Mignon, ancienne conseillère du président Sarkozy, dans une tribune publiée par L'Express (17/06/2025) : « D'abord, argumente-t-elle, il n'est jamais obligatoire de signer un arrêté (…) Si le grand chancelier a signé, c'est qu'il en a reçu l'ordre (...). » Et Emmanuelle Mignon de soulever un lièvre procédural : « En outre, pourquoi le code a-t-il été modifié en janvier 2025, c'est-à-dire à un moment où il était parfaitement connu que la question allait se poser pour Nicolas Sarkozy, afin de transférer du président de la République au grand chancelier le soin de prononcer une telle exclusion ? (NDLR : l'auteur évoque ici le Décret n° 2025-58 du 22 janvier 2025 modifiant le code de la Légion d'honneur, de la Médaille militaire et de l'ordre national du Mérite) Les sommets de la lâcheté et de l'hypocrisie sont atteints. Enfin, à supposer que le texte contraignît le grand chancelier, il était parfaitement loisible à Emmanuel Macron de le modifier en soumettant une telle décision à un pouvoir d'appréciation personnelle du président, comme pour tout ce qui concerne les décisions relatives aux décorations. »
En qualité de président de la République, Emmanuel Macron est effectivement grand maître des ordres nationaux. Or il avait déclaré au mois d'avril, alors qu'il était en déplacement à Madagascar, qu'exclure son prédécesseur des ordres nationaux « ne serait pas une bonne décision » parce qu'« il est très important que les anciens présidents soient respectés ». Sans préciser que si cette décision ne lui appartenait plus, c'était depuis le 22 janvier…date de la publication du décret par lequel il s'était auto-dessaisi sur le dos du grand chancelier, rendant l'exclusion automatique après une condamnation confirmée à plus d'un an de prison ferme.
« Le code de la prestigieuse distinction a été opportunément réformé fin janvier, permettant au président de ne plus se prononcer dans ce type de dossier délicat » confirme Le Point (16 juin) : « Rédigé en termes fort abscons, ledit toilettage a en réalité une portée considérable : il dessaisit le chef de l'État dans plusieurs cas de figure, en particulier ceux mentionnés à l'article R91 du code. Celui-ci précise la procédure disciplinaire pour les récipiendaires condamnés à une peine de prison ferme, d'un an ou plus. Justement le cas dans lequel se trouve Sarkozy. » Et l'hebdomadaire de s'interroger : « Macron aurait-il manqué de courage ? »
Quoi qu'on pense de sa présidence, ce n'est pas une qualité qu'on peut dénier à Nicolas Sarkozy. Il en a fait preuve publiquement lorsqu'il était maire de Neuilly, en se rendant lui-même dans l'école maternelle pour tenter de raisonner « Human Bomb », un déséquilibré qui retenait en otages de jeunes enfants. Cet acte de courage aurait dû lui valoir la Légion d'Honneur. Celle-ci ne lui sera pourtant décernée que des années après cette affaire, comme l'a constaté France info (19/06/2025) pour démentir tous ceux qui, à droite, de Bruno Retailleau à Jordan Bardella, rattachaient cette distinction au comportement héroïque du maire de Neuilly, pour s'indigner qu'on l'ait privé d'une décoration si méritée. En réalité, Nicolas Sarkozy n'a été fait chevalier de la Légion d'honneur que fin 2004, 11 ans après l'affaire dite « Human Bomb », sans que l'exposé des services rendus mentionne cet épisode. Ce qui pose la question de savoir pourquoi le mérite de Nicolas Sarkozy n'avait pas alors été honoré.
A l'étranger, cette condamnation n'améliore pas le prestige de la France, constate Courrier International (16/06/2025, en lien ci-dessous). Lequel serait encore dégradé si le recours devant la Cour européenne des droits de l'homme déposé par Nicolas Sarkozy avait une issue positive, contraignant la justice française à réexaminer l'exclusion de la Légion d'honneur de l'ancien chef de l'État.