
Nouvelle route de la soie : le dragon chinois a planté ses griffes dans la jungle birmane
Deux longues lignes traversent tout le nord du Myanmar (la Birmanie), d'ouest en est. Un gazoduc et un oléoduc – traversée du gaz venant de la mer d'Andaman et des produits pétroliers du Moyen-Orient – offrent à la Chine un raccourci de 1 200 km... Une double balafre qui ne profite que très peu aux Birmans, autorisés à prélever seulement 20 % du gaz, alors que les deux tiers de la population n'ont pas un accès constant à l'électricité. Ces pipelines sont d'une importance stratégique pour Pékin, qui développe sa « nouvelle route de la soie ». Le Parti communiste chinois (PCC) semble en fait considérer le Myanmar comme un État-client, une porte d'approvisionnement essentielle, tant il craint les conséquences d'un conflit ouvert avec Washington. 80 % du pétrole à destination de la Chine passe aujourd'hui par le détroit de Malacca, un goulot d'étranglement susceptible d'être fermé par les États-Unis et leurs alliés, dans le cas d'une crise autour de Taïwan.
Les pipelines birmans sont donc des atouts très précieux, mais leur protection donne des sueurs froides au PCC. En effet, le territoire du Myanmar est le théâtre d'une guerre civile et interethnique féroce depuis des décennies. De multiples milices affrontent l'armée de la junte, qui a (re)pris le pouvoir en février 2021, tout en se disputant des bouts de territoire où la culture du pavot fait la richesse des chefs de guerre. Pékin a fourni des armes à hauteur de 250 millions de dollars à la junte, qui n'arrive pas néanmoins à contrôler le pays. 3 millions de Birmans ont dû fuir leurs logements depuis le coup d'État, et l'ONU craint une famine dévastatrice. De très nombreuses personnes en sont réduites à se cacher dans la jungle pour fuir la violence. Le PCC a recours à des mercenaires, spécifiquement pour protéger les précieux pipelines. C'est la ligne rouge tracée par Pékin : personne ne doit les toucher, alors que plusieurs milices ont menacé de les attaquer. La junte militaire ne veut en aucun cas perdre le soutien chinois : le long ruban parcouru par les pipelines est tellement sécurisé que des populations civiles viennent s'y cacher, alors que d'énormes quantités de mines y ont été enterrées.
Le dragon chinois a les griffes prises dans la jungle birmane, tant il a sous-estimé la complexité du territoire. Depuis le début de 2025, une milice rebelle – l'armée d'Arakan (un peuple vivant sur la côte ouest birmane) – a pris le contrôle presque total des pipelines dans l'État d'Arakan. Ses cadres ont immédiatement assuré que rien ne serait fait pour nuire aux intérêts étrangers, mais la situation n'est pas rassurante pour le PCC, qui doit traiter avec de multiples acteurs en conflit permanent. De l'autre côté du pays, à l'est, c'est-à-dire près de la frontière chinoise dans l'État de Shan, Pékin a pactisé avec plusieurs familles mafieuses ethniquement chinoises. Ces dernières assuraient la sécurité du territoire, participaient activement aux projets d'infrastructures commandés par Pékin. Des milliers de prisonniers travaillaient dans des conditions d'esclavage sur ces projets. En échange, on les laissait étendre leurs activités d'escroquerie sur internet (« online scam »), et les casinos ont poussé autour de la ville de Kokang pendant plus d'une décennie. Jusqu'à ce que le PCC craque sous la pression de l'opinion publique, alors que de plus en plus de Chinois étaient victimes des escrocs en ligne basés au Myanmar. Face au scandale, le pouvoir chinois a réagi, en donnant la permission tacite aux groupes rebelles de la région de s'attaquer aux intérêts des mafieux – protégés par la junte de Rangoon. L'offensive rebelle est allée trop loin pour Pékin, en capturant près de 220 positions de l'armée birmane. Le PCC ne pensait pas que les troupes de la junte allaient flancher si facilement...
Pékin a donc imposé un cessez-le-feu... rapidement violé par des milices rebelles fin 2024. Dans l'affolement, le PCC n'a pas hésité à enlever un chef de milice. L'armée chinoise a même conduit des exercices à balles réelles juste derrière la frontière, en guise d'avertissement. Depuis, Pékin réaffirme son soutien à la junte au pouvoir : ce régime autoritaire a un fonctionnement plus simple à comprendre pour le PCC... Un autre point de tension est surveillé dans l'État de Kachin (nord) : des sociétés minières chinoises exploitent illégalement un territoire réputé détenir la moitié des terres rares lourdes du monde. Or, l'armée pour l'indépendance kachin est désormais maîtresse du terrain, et la Chine hésite entre négocier ou menacer.
Le PCC continue de soutenir la junte birmane, car les enjeux sont vitaux. En dehors des ressources exploitées, Rangoon doit des milliards à Pékin, et la marine chinoise compte ouvrir des ports ouvrant l'océan Indien à ses navires. Des élections sont prévues en décembre prochain sous le parrainage du PCC, dans un fort climat anti-chinois. L'objectif apparent de Pékin, en écartant tout vote pluraliste réel, est de redonner de la légitimité à la junte, tout en remplaçant son chef Min Aung Hlaing jugé incompétent.
- Grâce au Myanmar, la Chine gagne un accès à l'océan Indien.
- Dans un pays déchiré par la guerre civile, Pékin fournit des armes à Rangoon (250 millions de dollars depuis 2021).
- Les pipelines traversant le pays et les terres rares, abondantes dans le sol birman, font du Myanmar un partenaire capital pour le Parti communiste chinois.
- La situation chaotique du pays oblige Pékin à un exercice d'équilibriste risqué pour maintenir le pays sous contrôle.
