Économie

Notation financière, un pouvoir privé au-dessus des États

Par Raphaël Lepilleur. Synthèse n°2551, Publiée le 19/09/2025 - Photo : Les agences de notation, en situation d'oligopole, ont la main sur une partie du monde. Crédits : Shutterstock.
L'agence Fitch a abaissé la note de la France. Au-delà des réactions, entre résignation et fatalisme, demeure une réalité : trois agences privées américaines concentrent 95 % du marché mondial (cas d'oligopole). Incontournables, leurs « avis » dictent les conditions d'accès aux marchés et n'engagent pourtant aucune responsabilité. Un pouvoir opaque, déjà complice des plus grandes crises financières.

Trois agences dominent : Moody's (1909), S&P (1941) et Fitch (1914), toutes nées à New York. Elles concentrent plus de 90 % du marché européen de la notation financière (et près de 95 % du marché mondial). Moody's naît grâce à John Moody, qui crée un guide pour noter les obligations ferroviaires américaines (titres de dette émis pour financer ses activités), afin de simplifier la vie des investisseurs. C'est la naissance de la « notation ». John Knowles Fitch suit, en publiant des bulletins financiers sur la solidité des entreprises, et introduit dès 1924 l'échelle de notation en lettres (de AAA à D), toujours utilisée. Enfin, Standard & Poor's naît quelques décennies plus tard, de la fusion entre « Standard Statistics » et « Poor's Publishing ». Cette agence se spécialise dans la collecte et l'analyse de données. 1936 marque un virage, car l'État interdit aux banques d'acheter des obligations jugées « spéculatives ». Les avis privés deviennent alors des normes publiques. Leur rôle est institutionnalisé dans les années 1970, lorsque la SEC (le gendarme financier US) officialise leur statut par le label NRSRO (Nationally Recognized Statistical Rating Organizations). Pierre angulaire, les agences privées ne notent pas seulement les États, mais aussi les entreprises, les banques, les assurances et même les collectivités (régions, départements ou grandes villes françaises, par exemple). La note fixe le coût et l'accès à l'emprunt. Certains s'en affranchissent, comme l'Algérie, l'Arabie saoudite (qui se financent notamment par leurs ressources naturelles), la Chine ou la Russie (par des accords bilatéraux). D'autres en sont exclus de fait, pays pauvres ou en guerre, contraints à d'autres financements.

À l'origine, le modèle était dit « investor-pays » : les investisseurs achetaient les conseils. Mais à la fin des années 60-70, il bascule en « issuer-pays », ce qui revient à payer pour être noté. Ils deviennent si importants que les États ne peuvent plus s'en passer. Pourquoi ? Parce que les investisseurs n'achètent que des titres notés. Pas de note, pas d'accès aux marchés, plus de financement de dette, plus d'argent. Ce qui soumet les pays aux intérêts de ces acteurs, qui tiennent ensuite les clés de leur solvabilité. Certains appellent ce processus le « business de la dette ». Les accords de Bâle, censés encadrer les banques, ont renforcé leur pouvoir en intégrant leurs notes.

Fondé sur l'oligopole (terme utilisé par le gouvernement), l'actionnariat privé et la dépendance forcée, ce modèle a facilité des comportements de type mafieux, un parallèle qui n'a rien d'outrancier. En point d'orgue, la crise des subprimes en 2008. Pendant des années, les agences ont noté au maximum des produits qui auraient dû l'être au minimum, en toute conscience. Elles ont estampillé « sûrs » des produits financiers reposant notamment sur des prêts accordés à des ménages précaires, voire insolvables. Résultat : la plus grande crise financière (et humaine) de l'histoire. Des millions de vies brisées, des villes fantômes... Un chaos, dont le monde ne s'est pas remis. Leur ligne de défense ? « Ce n'étaient que des avis ». Un cynisme rendu possible par leur statut NRSRO, qui les classe comme simples « journalistes ». Opinion quasiment inattaquable, qui relève de la liberté d'expression. Pourtant, elles ont été reconnues officiellement après enquête comme des rouages essentiels de ce système frauduleux.

En 2001, Enron, géant de l'énergie, était encore noté « ultra fiable » quatre jours avant sa faillite, participant à l'une des plus grandes fraudes comptables de l'histoire. En 2011, les agences précipitent la Grèce en catégorie « junk » (déchet), aggravant la spirale de la dette, avec en arrière-plan des soupçons d'ingérence et de complicité avec Goldman Sachs, qui a ensuite racheté une partie de la dette grecque. Dans les années 2 000, elles abaissent les notes des dettes municipales, précipitant des villes comme Detroit vers la faillite et la privatisation. Ce sont souvent les politiques les plus sociales et interventionnistes (traditionnellement marquées à gauche) qui consolident leur pouvoir, car, en empruntant massivement, elles créent la dépendance à la notation. Ce n'est pas un hasard si ce modèle s'installe dans les années 60-70, période de grands bouleversements. En 2017, la SEC sanctionne Standard & Poor's pour avoir laissé ses équipes commerciales influencer les notations ; entre 2022 et 2024, tous écopent encore d'amendes pour violations répétées des règles de transparence. Mais ces sanctions ne changent rien. L'instance européenne dédiée (2011) ne semble pas être à la hauteur.

Certains analystes soulignent la proximité des agences de notation avec le Forum économique mondial, soulignant des intérêts communs (idéologiques, économiques, politiques…) et une forte porosité avec les grandes banques, fonds d'investissement et les institutions financières internationales. Par exemple, Blackrock – la plus grande société de gestion d'actifs au monde – est actionnaire majoritaire de Moody's et de S&P, et son PDG, Larry Fink, est aussi directeur du FEM. Elles fonctionnent comme une sorte de ministère des finances mondial, dans un gouvernement suprême non élu. Il ne s'agit pas ici d'observations populistes, mais de constats factuels. Ce système reste un facteur de risque permanent.

À retenir
  • Trois agences privées majeures, toutes américaines, possèdent près de 95% du marché mondial de la notation (oligopole). 
  • Passage d'un modèle où l'on achetait les conseils à un modèle où celui qui veut être jugé paie. "Investor pays" -> "Issuer pays".
  • Complicité avérée dans les plus grandes crises de l'histoire, mais intouchable, car leurs notes ne sont que des “opinions” protégées par la liberté d'expression.
  • Proximité avec des organes du globalisme et du mondialisme (Forum Economique Mondial, Blackrock, Vanguard, State Street, JP Morgan, Goldman Sachs ...)
La sélection
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