 
			Plus écoutée que Céline Dion, découvrez le phénomène Théodora
En deux ans à peine, l'ascension est fulgurante. Près de six millions d'auditeurs mensuels sur Spotify, plusieurs centaines de millions d'écoutes et un titre, Kongolèze sous BBL (désigne à la base le Brazilian Butt Lift, opération visant à augmenter le volume des fesses par transfert de graisse), dépassant les 50 millions. Apparue en 2023, Théodora explose en 2024. Omniprésente, jusque dans les défilés. Dans ses « textes », on retrouve des onomatopées, des références à la drogue, à l'argent facile, à la manipulation des hommes, à la haine de la police et une hyper sexualisation vulgaire et avilissante, mais volontaire, donc symbole de liberté. Elle se revendique vénale, cupide… Elle adopte une esthétique de la contestation et de l'autopromotion, classique chez les hommes, qui se répand de plus en plus chez les femmes. C'est dans la lignée de l'imposture du rap, une subversion de façade qui répond à l'idée de l'opposition que se fait un enfant ou un simple d'esprit (évoluer dans l'illégalité, la vulgarité…). Néanmoins, c'est musicalement novateur, avec une vraie recherche rythmique. Elle mêle le bouyon antillais à des sonorités afrobeat et caribéennes. On flirte parfois avec les 150-160 BPM, proche de la techno, des rythmes rapides qui créent une sensation de transe, presque hypnotique. Techniquement, c'est aussi une bonne chanteuse, avec une palette vocale qui semble large.
Le marché adore le récit de la fille « racisée » à la biographie poignante. Il s'évertue souvent à donner de la profondeur à une figure qui se veut barbaresque (au sens de la brutalité revendiquée). Un phénomène plus révélateur de son public que d'elle-même. Une interview, publiée en 2020 par le Conseil régional de Bretagne (où elle officiait dans le service culturel), révèle une jeune femme posée, qui parle d'inclusion, d'identité bretonne et de culture, dans une posture intellectuelle très éloignée de sa caricature artistique. On a du mal à voir la jeune fille rongée par la drogue, les trafics ou aux prises avec la police… Tout, dans sa trajectoire, respire la construction de personnage… Posture, langage, attitude, esthétique. Une création globale, pensée dès le 1er confinement avec son frère (son producteur). Elle a simplement copié les pires clichés du rap masculin pour les rejouer au féminin, comme si singer la vulgarité des hommes constituait une forme d'émancipation.
Économiquement, c'est un coup de maître. Indépendante, sans maison de disques (à part pour la distribution), elle gère tout elle-même. Mais l'artiste n'est qu'une illusion, et ses fans n'ont souvent pas le recul pour comprendre que tout n'est que folklore, cirque et marketing. On lui colle une image contestataire, parce que le système adore les contestations inoffensives. Une « rébellion » TikTok. Tout est fait pour le regard, jamais pour l'esprit, et pourtant, on la qualifie de féministe, d'activiste, etc. Il y a la figure « France Inter », où tout aurait un sens caché, et la figure à destination de son public, qui ne diffère pas de l'œuvre. Dans C à vous, elle explique qu'il faut « charbonner » (travailler), terme repris avec complicité par la présentatrice dans un geste d'une démagogie évidente... « Charbonner » vient du travail dans les « fours » (surnom des points de deal). Comme d'autres, le mot est devenu glamour, c'est la criminalité romancée, l'illégalité fantasmée. Vous pouvez vous former au « lexique de la street » grâce à Konbini. Partout, elle est reçue avec égard et complaisance, peut-être parce que bousculer une icône racisée pourrait être taxé de racisme (c'est d'extrême droite selon France Info)… Son succès dit beaucoup d'une partie de la jeunesse. C'est le nihilisme souriant et le conformisme sur des normes de quartier. Un nivellement vers le bas exploité en toute conscience. Peut-être se rassure-t-elle en étant « pétée sous cali » (défoncée au cannabis californien). Elle utilise d'ailleurs des termes clichés (la variété de cannabis « amnésia » ou le « shit » premium dit « jaune »), symptomatique de quelqu'un qui imite, mais ne connaît pas. On lui souhaite de régler ses problèmes d'addiction si elle en a.
Bousculer les codes semble être devenu une fin en soi, peu importe lesquels et la portée. En ce sens, c'est une trahison du rap féminin, qui fut parmi les plus riches et les plus profonds. Courageux et réellement contestataire, car en dehors de la logique masculine. Elle revendique une posture jadis fustigée comme « crasseuse » par Diam's dans Cruelle à vie, symbole parfait de l'inversion des valeurs. La même qui dénonçait les violences conjugales dans le poignant Ma souffrance. Princesse Aniès dépeignait le pays dans La France, ou son combat féministe dans si j'étais un homme. Casey défendait l'identité martiniquaise avec Chez moi. Au sommet, Keny Arkana, l'incorruptible altermondialiste Franco-Argentine au rap engagé et profond, a porté le flambeau jusqu'à la période Covid, où elle a osé dénoncer le système et ses dérives. Elles élevaient les consciences... mais réfléchir ou faire réfléchir est trop dangereux, on a toujours préféré promouvoir le superficiel. Théodora incarne le récit moderne et son œuvre importe peu, seul le symbole compte.
- Une ascension fulgurante, en 2 ans, Théodora est devenu la nouvelle Aya Nakamura, avec aujourd'hui près de 6 millions d'auditeurs mensuel sur Spotify.
- Elle singe les pires codes du rap masculin (illégalité, vulgarité, posture anti police...), sur des rythmes musicalement novateurs.
- Une artiste reçue avec égards et complaisance, quasiment intouchable, la critique étant "extrême droitisée".
- Une trahison pour un rap féminin jadis très profond, véritablement contestataire, courageux, engagé... À l'image de Diam's, Keny Arkana, Princesse Aniès, Casey...
 
											 
         
		 
						 
						 
						 
						 
						