Société

Alourdir l'impôt sur l'héritage, un choix de civilisation

Par Stanislas Gabaret. Synthèse n°2581, Publiée le 24/10/2025 - Photo : Le niveau de la taxe sur les successions structure la société toute entière. Crédits : Shutterstock.
C'est la taxe la plus détestée, que trois Français sur quatre trouvent déjà trop élevée. Non content de lever l'impôt sur les vivants, l'État perpétue son pouvoir par delà la mort. À l'heure où la présidente de l'Assemblée nationale parle d'en finir avec les successions « tombées du ciel », ce qui se joue est bien plus qu'une mesure économique, c'est la structure même de la société.

Faut-il s'étonner que, dans un pays endetté à plus de 3 300 milliards d'euros, l'héritage devienne une cible ? Dans la lignée des mots provocateurs de Yaël Braun-Pivet, le 15 octobre dernier, plusieurs amendements au budget 2026, rédigés à gauche, mais pas seulement, ont proposé d'alourdir les droits de succession. Le pacte Dutreuil, favorable à la transmission d'entreprises, est dans le viseur. Et pour cause, un récent rapport de la Fondation Jean Jaurès réveille les convoitises : dans les quinze ans qui viennent, plus de 9 000 milliards d'euros de patrimoine devraient être transmis. Une manne incontournable pour les Finances publiques. Pourtant, selon des données de l'OCDE de 2021 (pg 24), les droits sur les donations et successions en France représentent déjà plus de 0,7 % du PIB, un niveau comparable à la Belgique et à la Corée du Sud. C'est davantage que le Japon (0,5 %) et bien plus qu'un large groupe de pays européens réunissant l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, la Suisse et les Pays-Bas (entre 0,2 % et 0,3 %), ainsi que les pays nordiques où cet impôt n'a pas été supprimé : Danemark, Finlande et Islande. Aux États-Unis, il se situe autour de 0,1 %. Et se trouve en dessous de 0,05 % en Italie. Le plus surprenant ? Pas de droits de succession en Chine ni en Russie.

Certes, certaines situations peuvent choquer, comme ces propriétés immenses en Sologne, chasse gardée de grandes fortunes et magnats du CAC 40, des espaces vitaux sous grillage, excluant des populations rurales. « Ce que je vise, c'est bien souvent l'accumulation, au fil du temps, de la rente et non le résultat du labeur ou de la sueur. Une rente qui ne cesse de croître grâce à l'effet boule de neige, de se concentrer et qui alimente les inégalités », a précisé Mme Braun-Pivet dans un Post LinkedIn. Mais alors, n'a-t-on pas fondé la norme sur l'exception ? Car de nombreux legs en France concernent des maisons familiales modestes, fruit d'une vie de travail déjà abondamment taxée. Et nombreux sont les héritiers contraints de vendre ou de s'endetter pour s'acquitter des droits. La durée médiane de conservation d'un logement hérité est de deux ans... De grands médias comme TF1 veulent rassurer, prétendant que 85 % des héritages ne sont pas concernés, car exonérés en dessous de 100 000 € par enfant. Statistique étrange, compte tenu des prix de l'immobilier et des autres abattements : moins de 32 000 € par petit-enfant, en deçà de 16 000 € pour un frère ou une sœur. Un rapport de la Cour des comptes indiquait, en 2024, que près de la moitié des successions étaient sujettes à l'impôt.

Comme souvent, les prélèvements touchent d'abord ceux qui peinent à s'offrir les conseils d'un bon juriste. Une batterie d'astuces permet de contourner en partie le poids de la fiscalité : assurances vie avantageuses (attaquées par la France Insoumise), séparation entre usufruit et nue-propriété, immobilier reconverti en transmission d'entreprise… Sans compter que les riches tendent à s'exiler vers une fiscalité plus clémente. Un impôt qui se voulait redistributif finit parfois par déposséder les plus vulnérables.
Certains dénoncent un vestige de l'Ancien Régime. C'est pourtant sous Robespierre que la Révolution interdit aux pères de déshériter leurs fils (loi du 17 nivôse, an II). L'héritage est devenu un droit républicain, fondé sur l'égalité devant la transmission. La solidarité familiale permet de compenser les limites de l'État. À moins d'en assumer une forme de toute-puissance...

Le poids croissant de cet impôt prend place dans des sociétésrègne le consumérisme, pendant que la structure familiale est réinventée. Délitement des repères biologiques, éloge à la Rousseau du bon sauvage, refus d'enfants, promotion d'une France créolisée. Comme si le but était l'accouchement d'un peuple de déshérités. Longtemps, l'espoir de léguer un bien à sa progéniture fut le moteur pour supporter « la pénibilité du travail ». Aujourd'hui, « Le discours sur “l'héritage qui tombe du ciel” légitime ceux qui préfèrent jouir et dilapider – après avoir eux-mêmes beaucoup reçu – plutôt que de se donner la peine de préserver et de transmettre », s'indigne l'essayiste Olivier Babeau.

Qui peut vraiment prétendre n'avoir rien reçu ? L'économiste Frédéric Bastiat écrivait en pleine Révolution industrielle : « N'est-il pas merveilleux que nous-mêmes nous nous mettions à la gêne pour couvrir le pays de chemins de fer, sur lesquels aucun de nous ne voyagera peut-être ? » Aller au bout de la logique qui interdit de bénéficier du labeur des aïeux ramènerait les hommes à la préhistoire. Nous héritons tous : d'un savoir, d'une langue, d'un pays façonné par d'autres. « Les morts gouvernent les vivants », déclarait Auguste Comte. L'héritage n'est pas qu'un capital, mais un enracinement. Dans l'Ancien Testament, on célébrait tous les 50 ans un jubilé, ou les terres vendues étaient restituées aux propriétaires d'origine (Lévitique 25, 8-13). Après la captivité en Égypte, elles étaient devenues sacrées. Ce n'est pas au goût du jour en France, où les droits de succession pourraient un jour faire place à d'autres, a priori peu populaires... En 2025, l'épargne cumulée des Français représente 6 300 milliards d'euros.

À retenir
  • Dans les quinze années à venir, 9 000 milliards d'euros de patrimoine devraient être transmis.
  • Une manne convoitée par les Finances Publiques, qui envisagent d'alourdir les droits successoraux.
  • Cet impôt structure la société, il favorise la consommation plutôt que la transmission.
  • L'égalité est mise en avant, mais qui peut prétendre n'avoir rien reçu ?
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« Pourquoi ce serait une grave erreur d'abolir l'héritage »
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