Économie

Indépendants, TPE : la France qui travaille s'effondre en silence

Par Raphaël Lepilleur. Synthèse n°2575, Publiée le 17/10/2025 - Photo : "Ma petite entreprise, connait pas la crise", la chanson d'Alain Bashung n'est plus d'actualité ... TPE et indépendance rime aujourd'hui avec survie. Crédits : Nataliya Vaitkevich Via Pexels.
Ils travaillent 50 heures par semaine, souvent seuls, pour gagner moins que le SMIC. Ils s'appellent artisans, commerçants, indépendants. Ils sont la France réelle, celle du quotidien, celle qui peine à tenir debout malgré un dévouement total. 92 % d'entre eux n'y croient plus. Les défaillances d'entreprises ont atteint un niveau record. Le pays se vide de ses forces vives, dans l'indifférence.

Selon le Syndicat des Indépendants et des Très Petites Entreprises (SDI), 98 % des entreprises françaises sont des TPE (19 % de la richesse nationale et 22 % des salaires). Ce tissu à taille humaine est le cœur battant du pays, pourtant noyé, voire invisibilisé dans les grands bilans économiques. Le baromètre SDI du troisième trimestre 2025 est absolument alarmant (et dans la continuité de leurs publications). 92 % des dirigeants affichent un état d'esprit négatif. L'activité recule pour 59 % (7 % en hausse). Plus de la moitié déclarent dépendre du revenu de leur conjoint, et un quart puisent dans leurs économies pour vivre. Sur le plan de la santé mentale, 86 % se disent en surcharge, et plus de la moitié en épuisement mental. Les témoignages évoquent des journées de 15 heures, la solitude administrative et l'impression de « travailler pour l'État sans plus rien se verser ». Certains parlent de « burn-out collectif silencieux ». La chanson d'Alain Bashung semble loin.

1 sur 2 déclare vivre avec moins que le SMIC, malgré plus de 50 heures de travail hebdomadaire. 16 % envisagent d'abandonner avant la fin de l'année. La tendance est générale, puisque 81 % constatent une baisse auprès des clients particuliers et 83 % auprès des clients pro. C'est donc en recul sur tous les fronts, signe d'une crise globale. 91 % des répondants déclarent n'avoir reçu aucune aide publique liée à leur activité professionnelle sur les douze derniers mois. Certains précisent en revanche (14 %) percevoir des prestations sociales (RSA, CAF, etc.). Paradoxal ! Être plus aidé en tant qu'individu qu'en tant qu'entrepreneur. Néanmoins, ces études déclaratives n'intègrent pas les zones d'ombre, comme ceux qui vivent avec l'argent de leur entreprise avant de se payer, ou l'économie informelle, souvent conséquence d'une pression fiscale parmi les plus élevées au monde.

Concernant la taxe « Zucman », une majorité (58 %) pense qu'elle n'aura pas d'impact sur leurs activités, mais beaucoup craignent que cette logique fiscale finisse, tôt ou tard, par toucher leurs propres entreprises, analyse qui va dans le sens de celle de Sarah Knafo. Les témoignages sont sans détour : « Faire fuir les plus fortunés est un non-sens économique. Mieux vaut les inciter à investir, comme l'ont fait l'Irlande, le Portugal, ou l'Italie aujourd'hui. » Loin des tribunes idéologiques, ils ont une lecture pragmatique de l'économie. Normal, ils la font vivre au quotidien, mais en sont les principaux laissés-pour-compte, souvent stigmatisés par des étudiants ou des militants, qui sont potentiellement moins impliqués. Près d'un dirigeant sur deux juge les mouvements sociaux néfastes à leur activité (94 % leur imputent même une perte de CA) et la plupart ne s'y reconnaissent pas. La pénurie de main-d'œuvre aggrave la situation : presque tous disent peiner à recruter, faute de candidats motivés et compétents, ou à cause du poids des charges. L'apprentissage, pilier de la transmission, s'effondre. « Le coût des apprentis devient trop important, avec 14 semaines de formation et 5 semaines de congés payés. Il vaut mieux un salarié à temps partiel », confie un artisan. La baisse des aides d'État a joué, les jeunes devant se tourner vers les gros. Des métiers et des savoir-faire disparaissent faute de relève. Enfin, les arrêts maladie, souvent jugés abusifs, et la jurisprudence récente sur le report des congés payés sont vécus comme une double peine.

Une tendance confirmée par la dernière étude du cabinet Altares, spécialiste historique de la donnée d'entreprises. Au 3e trimestre, 14 371 entreprises ont mis la clef sous la porte, un record pour une période estivale et du jamais vu depuis 2009 (6 800 sur le seul mois de septembre). En cumulé, plus de 50 000 défaillances depuis janvier et près de 70 000 sur les 12 derniers mois. Les TPE concentrent les trois quarts des cessations d'activité avec 10 500 faillites. Ce sont des dizaines de milliers de vies humaines détruites (couples, familles, amis…). Les secteurs les plus touchés sont ceux de l'industrie manufacturière (+ 17 %), de l'agriculture (+ 27 %), des services à la personne (+ 11 %) et de la santé / action sociale (+ 37 %). L'artisanat, les métiers de proximité, le nettoyage, la sécurité, la maintenance mais aussi la restauration ou les professions libérales sont principalement concernés.

L'étude note une hausse inédite (+ 18 %) des défaillances d'entreprises anciennes (plus de 15 ans d'existence), considérées pourtant comme solides. Les disparités régionales sont fortes : le Centre-Val de Loire (+ 33 %), les Pays de la Loire (+ 15 %), et l'Auvergne-Rhône-Alpes (+ 13 %) tirent les chiffres vers le haut, tandis que la Bretagne (– 10 %) et la région PACA (– 4 %) s'en sortent mieux. L'Île-de-France concentre à elle seule un quart des faillites. Quelques signaux faibles laissent entrevoir un sursis. Un peu plus d'entreprises obtiennent un redressement ou une sauvegarde plutôt qu'une liquidation directe. Mais 7 sur 10 ne passeront pas la phase d'observation. La parenthèse covid a participé à fausser le cycle économique. Cela devait se payer… Et ce sont les petits qui trinquent… Derrière des analyses comptables, c'est la vie qui s'éteint.

À retenir
  • 98 % des entreprises françaises sont des TPE. Elles représentent 19 % de la richesse nationale et 22 % de la masse salariale. Ce tissu économique à taille humaine (artisans, commerçants, indépendants) est menacé. 92 % des dirigeants affichent un moral négatif, 16 % envisagent d'abandonner avant fin 2025.
  • Les revenus sont en chute libre. Un dirigeant de TPE sur deux vit avec moins qu'un SMIC malgré plus de 50 heures de travail par semaine, et souvent grâce au salaire du conjoint ou à ses économies. Très peu ont recours aux aides sociales. Paradoxalement, ces travailleurs essentiels sont encore trop souvent stigmatisés et montrés du doigt.
  • Les signaux de la santé mentale sont rouge vif. Baisse de morale généralisée, résignation, surcharge, épuisement... Jusqu'à parler de "burn out collectif".
  • Les défaillances atteignent des records : plus de 50 000 depuis janvier, majoritairement des TPE. L'arrêt du Covid et les aides massives ont masqué la fragilité du tissu économique, désormais à nu. La France des indépendants, pilier du pays réel, s'effondre dans l'indifférence générale.
La sélection
Etat des lieux des TPE au 3eme trimestre 2025
à consulter sur le site du SDI.
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