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L'enquête sur l'attentat contre Nord Stream 2 fragilise les relations entre Berlin et Varsovie

Par Ludovic Lavaucelle. Synthèse n°2584, Publiée le 28/10/2025 - Photo : Le Chancelier Merz et le Premier ministre Tusk sur la place de l'Indépendance à Kiev, le 10 mai 2025. Crédits : Shutterstock (photo de Paparazza).
L'attentat du 26 septembre 2022 n'a pas « seulement » détruit un gazoduc vital pour l'économie allemande. L'enquête pointe du doigt des suspects ukrainiens que la justice polonaise refuse d'extrader, provoquant la colère des autorités allemandes. Dans la perspective d'élections cruciales l'année prochaine en Allemagne avec la montée de l'AfD, l'acte de guerre de 2022 met à mal la cohésion de l'UE.

Le 26 septembre 2022, des explosions ont irrémédiablement endommagé le gazoduc Nord Stream 2 au fond de la mer Baltique... En 2024, des suspects de nationalité ukrainienne – qui seraient liés aux services spéciaux de leur pays – ont été identifiés par les procureurs allemands. Or, en septembre 2025, le dénommé Volodymyr Zhuravlov a été arrêté en Pologne à la suite d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités allemandes. Il est suspecté d'avoir organisé l'opération, contre ce que Berlin considère comme faisant partie de ses intérêts stratégiques. Mais en octobre, un tribunal polonais a rejeté l'extradition, arguant que son lien avec les forces de sécurité ukrainiennes lui conférait une « immunité fonctionnelle ». Notons que la justice italienne a utilisé un argument similaire pour empêcher l'extradition d'un autre citoyen ukrainien, qui faisait partie de l'équipe ayant loué le bateau sous pavillon russe présent dans les parages de l'explosion.

Le refus polonais fait ressurgir les vieilles fractures entre Varsovie et Berlin. L'enquête sur Nord Stream 2 se poursuit dans un climat politique tendu en Allemagne, alors que l'année 2026 sera très chargée avec une série d'élections. L'AfD – très critique sur les positions pro-ukrainiennes du pouvoir détenu par la fragile coalition CSU/CDU – est en pleine croissance et réclame la vérité sur cette affaire. Car l'Allemagne vit un cauchemar économique à cause du déclin de son industrie, accéléré par la hausse des prix de l'énergie. Le gazoduc Nord Stream 2 offrait justement l'assurance d'une fourniture fiable et bon marché : il ajoutait au premier pipeline Nord Stream 1 une capacité annuelle de 55 milliards de mètres cubes. Il rejoignait directement les ports allemands depuis la Russie, en évitant le territoire ukrainien. Ce projet avait fortement déplu aux Américains, dont les intérêts géostratégiques vont à l'encontre de tout rapprochement entre Européens et Russes.

Le chancelier allemand Friedrich Merz et le Premier ministre polonais Donald Tusk appartiennent à des partis politiques alliés au Parlement européen. Ils ont jusqu'à présent affiché une bonne entente, partageant la même vision atlantiste et pro-européenne. Il y a, derrière la relation germano-polonaise, le lourd passé des horreurs de la guerre mondiale et des frontières largement redessinées après la défaite de l'Allemagne nazie. L'entente entre les deux pays est donc stratégique pour l'UE. L'affaire Nord Stream 2 ne concerne pas seulement le gazoduc, si important pour l'industrie allemande, mais la relation entre ces deux voisins. Donald Tusk – déjà l'auteur de saillies très peu diplomatiques – a justifié la décision de la Cour de justice de refuser l'extradition du suspect ukrainien. « Le problème de Nord Stream 2 n'est pas de savoir qui l'a fait exploser, mais pourquoi il a été construit », a-t-il déclaré, provoquant un fort mécontentement côté allemand. Car les gazoducs 1 et 2 ont été installés et exploités en toute légalité, quoi qu'on puisse penser de la portée stratégique à long terme de cette liaison directe avec la Russie. Rappelons d'ailleurs que l'Europe occidentale – même en pleine guerre froide – ne rechignait pas à acheter des produits pétroliers à l'Union soviétique. Le ministre polonais des Affaires étrangères Sikorski avait carrément twitté au moment de l'attentat (alors député) : « Thank you USA »... Le gouvernement polonais apporte donc son soutien à un acte de terrorisme, voire de guerre contre un allié de l'OTAN. Voilà une situation inadmissible pour Merz, qui s'inquiète des échéances électorales à venir, et une dispute qui alarme Bruxelles par ailleurs.

Le climat s'est donc sérieusement refroidi entre Berlin et Varsovie. L'une des premières décisions de Friedrich Merz, après son élection en mai dernier, a été d'imposer des contrôles à la frontière polonaise pour limiter le flux migratoire. L'Allemagne et la Pologne ont accueilli près de 1 million de réfugiés ukrainiens – un poids proportionnellement plus lourd côté polonais, où la population est moitié moindre et la production économique 5 fois plus faible... L'ancienne chancelière Merkel a contribué à enflammer les relations avec la Pologne, lors d'une interview donnée au média hongrois Partizán il y a quelques jours. Évoquant la crise ukrainienne, elle a pointé du doigt la Pologne et les pays baltes comme ayant fait obstacle à une initiative allemande en 2021 pour renouer le dialogue entre l'UE et Vladimir Poutine.

Les tensions entre Allemands et Polonais mettent à mal les prétentions de l'UE à s'imposer comme une force géostratégique cohérente. D'autant plus qu'il s'agit de deux voisins « atlantistes ». Cette affaire – une obstruction polonaise à la procédure judiciaire allemande – souligne l'importance des élections de 2026, qui pourraient saper les fondements mêmes de l'UE (si la très eurosceptique AfD devait confirmer le succès promis par les sondages). L'acte de guerre perpétré en septembre 2022 a déjà des conséquences qui dépassent le conflit entre la Russie et l'OTAN...

À retenir
  • L'enquête allemande cible un Ukrainien comme l'organisateur de l'attentat de 2022. Arrêté en Pologne, la justice de ce pays refuse de l'extrader.
  • Cette affaire met à mal les relations entre deux pays majeurs pour l'UE, dirigés par des partis alliés au parlement européen.
  • Le gouvernement allemand est très embarrassé car des élections cruciales auront lieu en 2026. Le parti d'extrême-droite AfD, eurosceptique et très critique du soutien à l'Ukraine, est en embuscade.
  • Au-delà des relations entre deux voisins européens, cette dispute pourrait saper les fondements de l'UE.
La sélection
How Nord Stream 2 has blown up Europe
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