L'avenir de la guerre en Ukraine - perspectives polonaises
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L'avenir de la guerre en Ukraine - perspectives polonaises

Par Peter Bannister - Publié le 28/03/2022
Avec la récente visite de Joe Biden en Pologne, où plus de deux millions d'Ukrainiens ont pris refuge depuis l’invasion russe du 24 février, de nombreux regards sont actuellement rivés sur Varsovie, pour des raisons à la fois humanitaires et politiques. Si Kiev considère la Pologne comme son allié européen le plus sûr (fonctionnant par ailleurs comme le principal canal d'acheminement des munitions pour les forces armées ukrainiennes), certains commentateurs craignent qu'elle ne devienne l'une des prochaines cibles de "l'opération militaire spéciale" de Vladimir Poutine dans le cas de la défaite de l'Ukraine. Cette hantise est-elle simplement liée à l'animosité historique entre Varsovie et Moscou – malgré quelques tentatives d’apaisement du côté polonais sous le 1er gouvernement de Donald Tusk (2007-2011) – ou devrait-on vraiment s'inquiéter ?

Beaucoup ont loué la Pologne pour son hospitalité envers les réfugiés de la guerre à l'Est, accueil qui pourrait paraître paradoxal en considérant le refus il y a quelques mois du gouvernement polonais d'autoriser l'entrée aux migrants (principalement des Kurdes) massés à la frontière avec la Biélorussie. Varsovie avait pourtant estimé qu’il s’agissait d’une opération de déstabilisation orchestrée par Minsk et bénie par Moscou, tandis que les réfugiés ukrainiens bénéficient actuellement de plusieurs facteurs favorables, dont l'existence d'une importante communauté ukrainienne en Pologne, la proximité linguistique et les profonds liens historiques entre les deux pays (Lviv, la plus grande ville d'Ukraine occidentale, était polonaise avant 1939). Il faut néanmoins reconnaître qu'un tel afflux de réfugiés pose des défis considérables à la Pologne au niveau de l'intégration, des soins de santé, de l'emploi et de l'éducation des nouveaux venus. Varsovie aurait donc urgemment besoin de débloquer les fonds de relance post-covid de l'UE, actuellement gelés en raison d'une impasse entre la Pologne et Bruxelles pour non-respect des directives de la Cour de justice européenne.

La Pologne a sans doute été le plus actif des voisins de l’Ukraine sur le plan diplomatique, venant de proposer, avec la République tchèque et la Slovénie, un plan de paix en 10 points basé sur des sanctions musclées et d'autres mesures d'exclusion politique contre la Russie ; le premier ministre polonais Mateusz Marowiecki a contextualisé ce plan en parlant du danger d'actions militaires contre la Moldavie ou la Finlande ainsi que la Pologne. Une deuxième initiative du vice-premier ministre Jaroslaw Kaczynski (soutenue par le Danemark et la Lituanie, mais jugée peu réaliste ailleurs) concerne l'idée d'une mission de maintien de la paix par l'OTAN, mission défensive mais néanmoins armée.

Ces propositions ont suscité la colère du Kremlin, réaction qu’il faudrait situer dans un contexte plus large qui ne fait rien pour dissiper les craintes polonaises. Entre le 11 et 14 mars, un sondage a été réalisé anonymement auprès de 1557 participants russes par des sociologues ukrainiens en imitant le langage approuvé par Moscou, sollicitant leurs opinions sur les « opérations militaires » en cours. Il faut certes reconnaître que les sondages faits en temps de guerre – et dans un contexte de censure interne – doivent être interprétés avec prudence, mais les résultats sont néanmoins frappants. Face à la question (réponse facultative) "Dans quels pays la Fédération de Russie devrait-elle poursuivre l'opération militaire spéciale après la dénazification de l'Ukraine pour protéger ses intérêts légitimes ?", 75,5% de ceux qui ont choisi de répondre (et 48,6% de tous les répondants) ont noté "la Pologne". Pour comparaison, 26,4% des répondants avaient identifié les pays baltes, 20,8% la Géorgie et 18,5% la Moldavie comme la prochaine cible.

L’idée d’une action militaire directe contre la Pologne (ou les pays baltes) pourrait sembler peu probable à ce stade, étant donné qu'elle déclencherait automatiquement l'article 5 du traité de l'OTAN, mais l’image offerte par le sondage de l’opinion publique en Russie présente une cohérence troublante avec au moins deux déclarations publiques du gouvernement russe ou des médias contrôlés par l'État. Le 21 mars, l'ancien président russe Dmitri Medvedev a qualifié les autorités polonaises actuelles de "communauté d'imbéciles politiques", accusant la Pologne d'oublier sa dette de gratitude envers les troupes soviétiques qui chassèrent les Allemands des villes polonaises pendant la Seconde Guerre mondiale. L'affirmation de Medvedev selon laquelle il "n'y a pas et il n'y a jamais eu de sentiments anti-polonais en Russie" est par ailleurs difficile à concilier avec un article de Lyubov Steposhava publié dans Pravda le 16 mars, accusant la Pologne (étonnamment décrite comme étant la création de Staline) de vouloir déclencher une Troisième Guerre mondiale par le biais du plan de maintien de la paix de l'OTAN de Kaczynski et appelant à la "dénazification" de la Pologne. Terme glaçant dont les Ukrainiens ont brutalement découvert la signification concrète le 24 février 2022.
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