
Jamais le monde n'a connu plus de conflits depuis 1946
« Ce n'est pas simplement un pic, c'est un changement structurel. Le monde aujourd'hui est bien plus violent et bien plus fragmenté qu'il ne l'était il y a dix ans », estime Siri Aas Rustad, principal auteur du rapport (Conflict Trends : A Global Overview, 1946–2024) du Peace Research Institute Oslo (PRIO). « L'isolationnisme (…) serait une erreur profonde aux conséquences humaines durables », ajoute-t-elle en référence à la ligne « America First » défendue par Donald Trump depuis son retour à la Maison-Blanche. En somme, le PRIO invite le président américain à ne surtout pas se retirer des affaires du monde. C'est paradoxal : d'un côté, Donald Trump est conspué pour ses saillies commerciales et ses visées expansionnistes, en particulier sur le Groenland ; de l'autre, il est jugé indispensable pour maintenir « la stabilité que les États-Unis ont contribué à construire après 1945 ».
La contribution de l'Amérique à la paix mondiale est discutable. Certes, la doctrine du refoulement et de l'endiguement parvint à contenir l'expansionnisme communiste (pont aérien de Berlin-Ouest, Corée, Vietnam) et nulle autre puissance ne pouvait s'engager à ce point face à l'ogre rouge. Mais, sur la même période, le « gendarme du monde » incuba l'islamisme (soutien aux « Freedom fighters », futurs talibans), combattit ou renversa des régimes laïques (Libye, Iran, avec la complicité de la France). Cette tendance s'aggrava après la chute de l'URSS lorsque l'Amérique, guidée par George Bush père & fils (1989-2009), se lança dans des expéditions désastreuses (embargo meurtrier en Irak, 1990-2003) et aux dividendes politiques nulles (piteux retrait d'Afghanistan, 2021).
Bref, malgré une communication controversée, Donald Trump tranche avec l'interventionnisme des néoconservateurs dont l'électorat MAGA ne veut surtout pas. Encore doit-il se montrer prudent. S'il joue la carte de la loi du plus fort, comme au Groenland, l'Amérique risque de doper le Sud global. Pourquoi respecter l'ordre issu de 1945 si le président US l'ignore lui-même ?
Israël cherche à faire basculer Donald Trump dans le conflit opposant Tel Aviv à Téhéran. L'Amérique possède la plus puissante bombe classique pénétrante, la GBU-57A/B capable de détruire des cibles très enfouies, comme celles du programme nucléaire iranien. Pour l'heure, la réserve l'emporte : d'un côté, il se dit « ouvert » à l'idée que Vladimir Poutine joue un rôle de médiateur entre Israël et l'Iran ; de l'autre il juge « possible » que les États-Unis s'impliquent (Le Figaro).
En attendant, une question de fond se pose – qui pourra paraître naïve et illusoire : comment parvenir au bien commun ? S'interdire de la formuler, c'est se résigner à la multiplication des conflits et à la surenchère militaire. Le bien commun ne résulte pas d'une addition, celle d'intérêts particuliers, mais d'une soustraction et d'une multiplication. Je me départis d'un bien propre au profit d'un bien supérieur. Chacun doit renoncer à une part de ses intérêts. Or, le monde se laisse entraîner dans une opération inverse, poussé dans le dos par « l'affaissement des institutions onusiennes et l'expression de la force désinhibée », juge Mgr Antoine de Romanet, évêque aux armées françaises.
À ses yeux, « le vrai sujet, c'est l'absence de gouvernance internationale ». La Seconde Guerre mondiale, tout comme la guerre froide, s'était traduite par des frontières idéologiques nettes. Nazisme et communisme avaient unifié le camp de la liberté, l'avaient fortifié autour de l'Oncle Sam. Cet héritage chancelle. Des rendez-vous jadis flamboyants comme le G7 vieillissent mal, Donald Trump « jouant perso » et snobant des exécutifs européens qui, hormis l'Italie de Georgia Meloni, sont affaiblis. Les pays émergents demandent leur part. Il s'ensuit une compétition qui n'épargne personne et se fait à tous les niveaux. Le monde « s'arsenalise » (Le Monde) à mesure que les technologies, portées par des entreprises privées, se développent de manière stupéfiante, tandis que des États endettés voient leur capacité d'action limitée. Avec la guerre hybride, les terrains de conflictualité s'étendent. Toute ressource devient une arme (comme l'eau).
À l'envers du bien commun, des États privatisent des enjeux selon leurs intérêts, alors que « tous les grands sujets concernent l'ensemble de la planète », note Mgr de Romanet. « Un pays isolé, ajoute-t-il, ne peut résoudre à des questions comme le réchauffement climatique » ou les migrations. Le prélat ne plaide pas pour une gouvernance policière, mais invite à « dégager une action commune du meilleur du cœur de l'homme ». Ce lieu serait-il habité par le pape Léon XIV ? « Si vous faites un sondage en demandant le nom du secrétaire général des Nations Unies et le nom du pape, vous verrez la différence », suggère-t-il.
Mais l'Église doit rénover sa vision, en particulier celle de la « guerre juste » pensée par Saint Augustin et Saint Thomas d'Aquin. Tant de réalités en bousculent les codes, qu'il s'agisse de l'usage préventif de la force, de la lutte contre le terrorisme, des cyberattaques, des drones, du droit d'ingérence ou de l'arme atomique. Pour Mgr Romanet, « la dissuasion nucléaire fait exploser le cadre de la guerre juste. Est-il légitime, se demande l'évêque aux armées, d'avoir le ferme propos de ne pas faire ce dont on menace ? »
La « guerre juste » postule un « affrontement politique ordonné » (Radio France), ce qui peut aider à empêcher un conflit de se déclencher. Sa doctrine postule qu'une autorité légitime fait valoir une cause moralement valable, qu'une intention droite l'anime, que les armes sont le dernier recours, que leur usage peut aboutir au rétablissement de la paix et qu'en vertu de la proportionnalité, les maux de la guerre ne sont pas plus graves que ceux qu'elle entend prévenir. Tant il est vrai que, dans une guerre, on sait quand on la commence, jamais quand ni comment on la termine.