
Tatouages : la fin du grand amour
Kim Kardashian avait donné le ton. A Wendy Williams, humoriste américaine qui lui demandait pourquoi elle n'était pas tatouée, elle avait répondu : « Chérie, est-ce que tu mettrais un autocollant sur une Bentley ? »
C'était en 2009 et depuis, elle a mis un autocollant sur la Bentley, discret, à l'intérieur de la lèvre inférieure. Plus proche de nous, l'humoriste Pete Davidson, américain et ex de Kim Kardashian, a changé radicalement d'apparence. Début 2025, alors qu'il portait plus de 200 tatouages sur tout le corps, il en a fait enlever la presque totalité, pour une somme qui avoisinerait les 200 000 dollars. Et il n'est pas le seul : des stars comme Johnny Deep, Angelina Jolie ou Britney Spears auraient, eux aussi, fait un grand ménage cutané.
Pour comprendre cette tendance du détatouage, il faut d'abord faire un retour en arrière et analyser l'engouement pour le tatouage. Très longtemps, jusqu'en 1970-1980, le dessin permanent sur la peau est l'apanage des mauvais garçons. Qui se fait tatouer ? Essentiellement les légionnaires, les motards et les voleurs. Ces derniers portent un papillon sur la peau, allégorie du vol dans tous les sens du terme. Dans un reportage de 1976, Bruno Cuzzicoli, premier tatoueur de France et figure de Pigalle, raconte tatouer une grande majorité d'hommes (95%). Même s'il défend son art et réfute l'image de voyou qui colle à la peau des tatoués, sa clientèle reste alors confidentielle.
Des décennies plus tard, c'est raz-de-marée. Dans la population française, désormais une personne sur cinq est tatouée, avec une majorité de femmes, et une tendance plus marquée dans la tranche d'âge 18-35 ans. Le nombre de salons de tatouages suit cette croissance : dans les années 80, on en comptait 30 en France, et aujourd'hui 7 000. Tout récemment dans les colonnes des Echos, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d'entreprise de l'Ifop, constate : « Aujourd'hui, la France compte plus de tatoueurs que de prêtres catholiques ». Et d'ajouter : « le tatouage s'est imposé comme un nouveau rite social ». L'expression corrobore l'analyse d'Elise Muller, auteur du livre Une anthropologie du tatouage contemporain, dans lequel elle détaille les cinq grandes motivations à se faire tatouer à notre époque : pour marquer une nouvelle étape de sa vie, pour se rassembler et appartenir à un clan, pour affirmer ses valeurs, par rite ou mythe personnel, et enfin par goût esthétique. Elise Muller explique encore dans ce podcast de France Inter que se faire tatouer est une façon de se réconcilier avec son corps, de compenser la perte du sacré, de répondre à l'impératif de devenir soi.
Oui mais voilà, le « soi » peut changer au cours de la vie, et engendrer des regrets. Et un tatouage très lourd de sens à un moment de la vie peut devenir « lourd » tout court quelques années après. On pense bien sûr au dessin de Norman Rockwell figurant ce marin changeant une énième fois de petite amie et donc de tatouage. Il y a aussi les phénomènes de mode : les tatouages tribaux (quelques exemples ici) aussi, très en vogue dans les années 1990-2000, sont beaucoup moins prisés aujourd'hui. Les raisons de santé ont leur importance : certains tatouages ne seraient pas anodins et les encres utilisées seraient, pour certaines, cancérigènes. Les tatouages peuvent générer des allergies, des complications infectieuses aigües et des réactions inflammatoires. Enfin les mentalités évoluent doucement. Outre Atlantique, la tendance clean girl (« fille propre », en français), associée à une montée du conservatisme, prône de nouvelles valeurs : maquillage plus discret et valorisation de la beauté naturelle, synonyme de bonne santé. En résumé, la clean girl, c'est l'anti-fille tatouée.
On le constate, si les Français sont toujours très tatoués, les raisons de se faire détatouer augmentent. Et là, il est temps de parler d'argent. Car enlever un tatouage coûte beaucoup plus cher que le tatouage en lui-même. Le business du détatouage est estimé à 4,3 milliards de dollars en 2021 et il pourrait tripler dans les années à venir. La méthode utilisée est celle des lasers pigmentaires – appareils extrêmement coûteux – qui captent, dans la peau, les encres du tatouage pour les détruire sans abîmer le reste. La destruction d'un tatouage ne se fait pas en une fois. Il faut plusieurs séances, espacées à chaque fois de plusieurs semaines, pour venir à bout d'un tatouage important. Cerise sur le gâteau : les séances de laser peuvent être douloureuses et une anesthésie locale est souvent nécessaire.
Est-ce que la tendance détatouage touchera même FreakyHoody ? Pas sûr. Ce professeur des écoles est l'homme le plus tatoué de France. Pas un centimètre carré de sa peau qui ne soit dessiné. En trois ans et demi, il s'est fait tatouer l'entièreté du corps (parties intimes comprises), l'intérieur des yeux, la langue et le palais. Même la partie blanche de ses yeux est colorée. Il avoue dans une interview à Léa Salamé : « J'ai souffert le martyr, je me suis beaucoup évanoui » lors des séances de tatouage. Mais pour lui, pas question de les enlever : « C'est une passion qui ne m'apporte que du positif ».