Sciences

L'horloge carbone-14 : la physique atomique comme machine à remonter le temps

Par Janus Maat - Publié le 22/09/2023 - Crédit photo : Janus Maat

Vendredi soir, dans un charmant village des bocages normands après une soirée entre amis, la discussion tourne autour de mon activité de professeur :  « Je n'ai jamais rien compris à la datation au carbone-14. D'ailleurs, pourquoi « 14 » ? ». La question me surprend. Non par son ingénuité, mais au contraire par le fait que tous autour de la table acquiescent. Personne ne semble en mesure d'expliquer le phénomène. À y regarder de plus près, je comprends pourquoi. Le principe, bien que simple en soit, demande un minimum de connaissances.

Un peu d'histoire pour commencer. La première utilisation du carbone-14 à des fins de datation, nous la devons au radiochimiste Willard Franck Libby en 1949. Ce dernier parvient à dater une tombe égyptienne de 4 600 ans, dont l'âge était par ailleurs bien connu des archéologues au travers d'études égyptologiques indépendantes. Libby se voit discerné le prix Nobel de chimie en 1960 pour cette exceptionnelle découverte, qui va révolutionner l'archéologie.

Mais le « 14 » dans tout ça ? Tout atome est constitué d'un noyau entouré d'un nuage d'électrons. Le noyau quant à lui est constitué de protons (chargés positivement) et de neutrons. L'hydrogène, l'élément le plus léger, ne possède qu'un proton, alors que l'hélium a 2 protons et 2 neutrons. La nature a attribué au lithium 3 neutrons et 3 protons, quant au carbone, il a hérité de 6 protons et 6 neutrons. On dit que le carbone à un nombre de masse de 12 (6+6). Mais mère Nature aime à se compliquer la vie, et autorise de petites digressions, à la manière des moutons à cinq pattes : il existe aussi du carbone-14 constitué de 6 protons et 8 neutrons (6+8=14), en quantité très faible. Ce cousin ne représente que 0.0000000001 % du carbone-12, mais tout comme le mouton à 5 pattes, il a une durée de vie plus limitée que le carbone-12. Alors que ce dernier est stable, son cousin ne « vit » que 5 730 ans.

Que signifie « durée de vie » pour un atome ? C'est là où les lois de la physique quantique interviennent. Les noyaux d'atome se désintègrent à un certain rythme, qui dépend de la différence entre leur nombre de protons et de neutrons. Un neutron isolé par exemple, vit un quart d'heure, alors que l'Uranium-238 vit près de 4,5 milliards d'années. Ce que les physiciens appellent durée de vie, c'est le temps nécessaire pour que dans un échantillon de N atomes, la moitié se soit désintégrée. En d'autres termes, si je remplis un bol avec 100 neutrons, au bout d'un quart d'heure, je n'en aurai plus que 50 ; au bout de 30 minutes, il m'en restera 25, et seulement à peine 6 après une heure.

Le principe de la datation, c'est de raisonner à rebours : en comptant combien de neutrons restent dans le bol, je sais à quelle heure il a été rempli. Si je mesure 25 neutrons, je sais que le bol a été rempli il y a une demi-heure. C'est exactement la même chose avec le carbone-14. Un organisme vivant échange (respiration, alimentation) en continu avec le carbone-14 présent dans l'environnement, et cet échange maintient son taux constant. À partir du moment où l'organisme meurt, plante, bois ou être vivant, il n'y a plus de régénération possible et le carbone-14 débute sa phase de désintégration, en azote-14. En mesurant le nombre de carbone-14 restant dans l'organisme, nous pouvons donc en déduire la date de la mort de l'organisme, exactement de la même façon que mesurer le nombre de neutrons me donne l'heure à laquelle le bol a été rempli. S'il en reste la moitié, l'organisme est mort il y a 5 730 ans, s'il en reste le quart, il est mort il y a 11 460 ans, et ainsi de suite. Pour des époques plus tardives, on utilise l'uranium ou le potassium qui ont des durées de vie bien plus grandes.

Cette méthode révolutionnaire a toutefois ses limites. Au-delà de 50 000 ans, il reste tellement peu de carbone-14 dans l'échantillon que le résultat n'est plus fiable. De plus, les essais nucléaires ont fortement contaminé l'environnement dans les années 60, enrichissant artificiellement la proportion de carbone-14 dans les organismes vivants. Finalement, il faut évidemment s'assurer que l'échantillon n'ait pas été pollué par un autre organisme lors de l'extraction, ce qui augmenterait son taux en carbone-14 et le « rajeunirait ».

Mes convives me regardent. Surpris d'avoir compris aussi facilement un mécanisme dont ils entendent parler depuis si longtemps. Lorsque mon ami de droite reprend : « En fait, c'est un peu comme moi qui ai mis une armoire normande en dépôt vente il y a trois mois. Chaque mois, le propriétaire du dépôt baisse le prix de 10 %. Comme il l'a mise en vente à 500 euros, il me suffit de savoir son prix de vente pour connaître depuis combien de temps elle est restée au dépôt ? » C'est en effet exactement le même principe, expliqué de manière encore plus simple. Je termine le dîner plutôt satisfait d'être aussi bien entouré.

La sélection
La datation par le carbone 14
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