Guerre au Soudan : que se passe-t-il ? Plongée dans l'anarchie, entre violence et ingérences
La violence continue de se propager au Soudan, seize mois après le déclenchement d'une nouvelle guerre civile dans le pays. Celle-ci oppose les Forces de soutien rapide (FSR) soudanaises du général Mohamed Hamdan dit « Hemedti » Dagalo, issues de l'ethnie dite arabe, aux Forces armées soudanaises fidèles à Abdel Fattah al-Burhan, le président en place. Le conflit a débuté le 15 avril 2023, lorsque les FSR ont attaqué les aéroports et les infrastructures de Khartoum pour provoquer le renversement d'Abdel Fattah al-Burhan.
Une enquête menée conjointement par le journal Le Monde, la chaîne Sky News, l'agence de presse Lighthouse et le Washington Post a prouvé, images et témoignages à l'appui, que les FSR sont à l'origine du massacre de soixante-treize personnes dans le village de Kutum, au nord de la région du Darfour, le 3 juin 2023. Dans le dossier d'enquête, en accès libre sur le site de Sky News, on voit plusieurs images d'hommes abattus froidement sur une place du village. Ces faits, qualifiés de crimes de guerre par l'ONU, font partie d'une longue liste d'atrocités qui se rallonge mois après mois. La dernière attaque en date des FSR contre des civils remonte au 8 septembre et a fait au moins vingt-et-une victimes sur un marché de la ville de Sennar, selon l'ONG Sudan Doctors Network. Dans un rapport publié le 9 mai, l'ONG Human Rights Watch a accusé les FSR de perpétrer un génocide contre l'ethnie Massalit et les ethnies non-arabes. Ces derniers jours, plusieurs vidéos et images ont circulé sur les réseaux sociaux montrant des combattants des FSR se réjouissant d'avoir incendié des maisons de village. D'autres vidéos des FSR datant de 2023, montrent des guerriers alliés de la milice qui se vantent d'avoir débarrassé la ville d'El Geneina, dans le Darfour, de tous les Massalit. Les deux massacres perpétrés à El Geneina en juin et juillet 2023 ont causé la mort de plus de 10 000 personnes.
Les FSR sont la seconde force armée du Soudan après l'armée régulière. Créé en 2013 par Mohamed Hamdan « Hemedti » Dagalo, ce groupe paramilitaire est parvenu à imposer sa milice comme une force armée officielle. Dès 2016, le général Dagalo a obtenu que sa milice reçoive le statut de garde-frontière à l'issue du « Processus de Khartoum », initié par l'Union européenne pour combattre l'immigration massive en Europe. Un an plus tard, en 2017, le parlement soudanais a accordé aux troupes du général Dagalo le statut de « forces spéciales » en leur conférant le nouveau nom de « Forces rapides de soutien ». Enfin, lors du coup d'État de 2019, qui a provoqué le renversement du président Omar al Bashir, le général Dagalo a encore renforcé sa position en occupant le pouvoir vacant aux côtés de l'actuel président Abdel Fattah al Burhan. Déchirés par des luttes de pouvoir, les deux chefs se sont séparés en 2023 avant de rentrer dans un conflit armé.
Depuis un an et demi, les parties belligérantes bénéficient du soutien de puissances étrangères, dont celui de l'Ukraine, qui assiste militairement l'armée soudanaise régulière. Les Émirats arabes unis fourniraient les FSR en armes selon un rapport de Human Rights Watch. Lundi dernier, l'ONG américaine a publié plusieurs images montrant des membres de la FSR posant avec des drones et des missiles d'origines russe, chinoise, serbe, iranienne et émiratie. Enfin, le groupe de mercenaires Africa Corps, anciennement Wagner, a lui aussi offert ses services aux FSR. Une preuve formelle de la participation du groupe de mercenaires russes a été diffusée au mois de février par les services de renseignement ukrainiens : dans une vidéo relayée par le Kyiv Post, trois miliciens sont interrogés par des membres du Directoire des Forces ukrainiennes de renseignement militaire. Les prisonniers y reconnaissent leur appartenance à l'Africa Corps et indiquent avoir été envoyés depuis la République centrafricaine où ils tentent de déstabiliser le régime. Plus loin dans l'interrogatoire, l'un d'entre eux avoue avoir été payé 1000 $ pour se rendre au Soudan.
Selon l'émissaire américain pour le Soudan, Tom Perriello, le bilan de cette guerre pourrait s'élever à plus de 150 000 tués, sans compter les dix millions de personnes déplacées depuis le début du conflit. La semaine dernière, le gouvernement soudanais a rejeté la proposition de la mission onusienne d'envoyer des troupes étrangères pour séparer les parties. Dans un communiqué, le ministre des Affaires étrangères soudanais a traité le Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU « d'organisme politique et illégal » et a qualifié ses recommandations de « flagrante violation de leur mandat ».