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Un an de guerre entre généraux au Soudan : combats intraitables et catastrophe humanitaire

Par Peter Bannister - Publié le 29/04/2024 - Photo : Des gens se tenant dans des décombres alors qu'ils inspectent une maison qui a été touchée par un obus d'artillerie dans le district d'Azhari, au sud de Khartoum, le 6 juin 2023. (AFP)
Après une année d'indifférence générale, l'alerte de l'ONU sur le conflit au Soudan a suscité l'intérêt de la presse internationale. Une conférence a même eu lieu le 15 avril à Paris. Analyse d'une guerre fratricide qui a déjà affamé plus d'un tiers du pays.

Un an après le début de la guerre civile, le 15 avril 2023, le Soudan connaît l'une des plus grandes crises humanitaires au monde à l'heure actuelle. Peu suivi par les media occidentaux, le conflit oppose les Forces armées soudanaises (FAS), menées par le général Abdel Fattah al-Burhan, aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagolo (« Hemedti »). S'il est difficile de citer des chiffres exacts, on recense déjà plus de 15 000 morts et 8 millions de personnes déplacées sur une population de 45 millions. Le Soudan est le troisième pays d'Afrique par la taille et 18 millions d'habitants y sont menacés par la faim. L'arrivée d'aide par la voie des airs a été quasiment impossible, l'aéroport de Khartoum se trouvant au milieu des affrontements. Les combats ont également entravé les projets de couloirs humanitaires ouvrant sur la voie maritime.

La genèse du conflit remonte à l'époque de la dictature d'Omar el-Béchir, qui a créé les FSR en 2013 à partir des tristement célèbres milices Janjawid – des groupes armés arabes venant de l'ouest du pays. Le but de Béchir était d'utiliser les FSR pour combattre des rebelles au Soudan-Nord et de se protéger contre la menace d'un coup d'état de la part de ses rivaux. Les FSR ont gagné en influence en 2017 suite à la prise de contrôle des mines d'or au Darfour (une source importante de devises étrangères, permettant à Hemedti de devenir l'un des hommes les plus riches du Soudan). En 2019, des protestations populaires ont eu lieu contre el-Béchir. Hemedti et le chef de l'armée al-Burhan ont alors collaboré pour le destituer et prendre la tête du Conseil souverain. L'instance devait alors superviser la transition vers des élections démocratiques. Pourtant, en octobre 2021, les deux généraux ont fomenté un coup d'état contre le premier ministre et ancien collaborateur de l'ONU Abdallah Hamdok. Devenu président, le général al-Burhan a dit qu'il souhaitait des élections libres en 2023. Mais ses relations avec Hemedti ont dégénéré : ce dernier a refusé l'absorption des FSR par les FAS et saisi le palais présidentiel à Khartoum le 15 avril 2023. Suite à la prise de la plupart des sites stratégiques de la capitale par les FSR, al-Burhan a quitté Khartoum et établi son QG à Port-Soudan sur la Mer Rouge. Depuis, la situation est plutôt chaotique, sans ligne de front claire entre les belligérants. Al-Burhan est soutenu par l'Égypte et l'Érythrée. Hemedti a de son côté les Émirats Arabes Unis (plaque tournante du commerce d'or), l'Éthiopie et la Russie via l' « Africa Corps » (ex-groupe Wagner). Les deux camps auraient attaqué des cibles civiles, mais on accuse en outre le FSR d'actes de pillage et de la destruction de beaucoup de sites historiques. Son but serait de changer l'identité culturelle du pays.

Il y a plusieurs raisons possibles pour lesquelles la guerre civile au Soudan n'a pas beaucoup attiré l'attention jusqu'à présent. Il est vrai que depuis six mois les yeux du monde sont plutôt rivés sur Gaza et Israël. On peut néanmoins citer la grande difficulté d'obtenir des informations du terrain comme l'a expliqué la journaliste Alexandra Brangeon du service Afrique de RFI. Le Soudan est fermé aux media et aux organismes humanitaires depuis avril 2023 et les ressortissants étrangers ont été évacués de Khartoum peu après. Communiquer avec les habitants de la capitale restés sur place est rendu difficile par les fréquentes coupures d'internet, sans oublier la fuite de la plupart des personnes pouvant parler des langues étrangères. Selon l'auteure soudanaise Nesrine Malik dans The Guardian, l'oubli international du conflit tiendrait aussi à son caractère apparemment intraitable et opaque. Il ne s'agit en effet pas d'un « simple » affrontement Arabes contre Africains ou musulmans contre chrétiens.

Le premier anniversaire du début de la guerre semble néanmoins avoir suscité une prise de conscience globale face à cette catastrophe de grande échelle. Une conférence humanitaire internationale pour le Soudan et les pays voisins vient d'avoir lieu à Paris, rassemblant les représentants de 58 états ainsi que des organisations régionales, des institutions de l'ONU et des ONG. La communauté internationale a appelé les « acteurs étrangers » à cesser de fournir des armes aux combattants, s'engageant à verser 2 milliards d'euros de soutien à la population (sur les 3,8 milliards jugés nécessaires par l'ONU). Rien n'indique toutefois que les belligérants soient enclins à cesser leur guerre de succession pour le pouvoir ou à envisager la transition démocratique tant espérée en 2019. Dans un discours à l'occasion de la fête de Aïd el-Fitr le 9 avril, le général al-Burhan a exclu le partage du pouvoir avec les civils. Il a déclaré qu'il n'y aura pas de « retour en arrière » i.e. à la situation d'avant 2023, 2021 ou 2019. Si l'armée soudanaise a récemment marqué quelques avancées, la base de pouvoir de Hemedti à l'ouest du pays est considérée par beaucoup comme inattaquable. Dans l'impasse, le conflit du Soudan risque de provoquer bientôt sa faillite.

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Soudan : Guerre, famine et indifférence
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