
Euthanasie au Royaume-Uni : le projet de loi de l'ambiguité
La semaine dernière, un débat de cinq heures seulement a été accordé aux députés anglais pour examiner 100 amendements au projet de loi « Adultes en phase terminale », avant un second vote prévu le 13 juin. Cette législation autorise les patients en fin de vie, ayant une espérance de vie inférieure ou égale à six mois, à demander un cocktail de médicaments létaux pour mettre fin prématurément à leurs jours. En novembre 2024, le projet de loi a reçu une première approbation lors d'un premier vote, grâce à une faible majorité de 55 voix – 330 pour et 275 contre. La brièveté du débat, alliée à l'opposition du corps médical, soulève des inquiétudes quant à la prise en compte suffisante des conséquences de cette loi.
La rapporteure du projet de loi, la députée travailliste Kim Leadbeater, est confrontée à l'opposition grandissante des psychiatres et des médecins généralistes, premiers acteurs du suicide assisté. Le texte en discussion prévoit qu'un panel composé d'un psychiatre et d'assistants sociaux, examine et valide chaque cas de demande de suicide assisté. Dès la publication de cette mesure, le Collège royal de psychiatrie (RoyalPsch) a publié une liste de neuf réserves à l'égard du projet de loi. Parmi celles-ci, le Collège s'est interrogé sur le rôle du psychiatre au sein d'un tel panel et sur le sens même de son métier. Selon la définition du National Health Service (NHS), le psychiatre doit se consacrer « au diagnostic, au traitement et à la prévention des troubles de santé mentale ». Cette définition rappelle l'exigence du serment d'Hippocrate de « ne pas nuire » au patient. Le fait qu'un psychiatre doit administrer des médicaments létaux si un patient en fait la demande, au lieu de tenter de le guérir, remet profondément en question la fonction même de sa profession – une critique qui s'étend à l'ensemble de la médecine.
La controverse s'est d'ailleurs intensifiée lorsque la commission parlementaire chargée d'examiner le projet de loi, s'est d'abord opposée à l'invitation du Collège royal de psychiatrie à témoigner. Après plusieurs contestations, cette décision fut annulée, et le Collège a finalement pu contribuer aux travaux parlementaires. À cela s'ajoute une enquête de la BBC révélant qu'une majorité de généralistes s'opposent également au suicide assisté. Le texte exige en effet, que les médecins proposent l'option de l'aide à mourir aux patients en fin de vie. Et si un patient en manifeste l'intérêt, le médecin n'a pas le droit de l'interroger sur ses motivations. D'ailleurs, bien que seuls les adultes de 18 ans et plus puissent faire la demande d'un suicide assisté, les médecins peuvent néanmoins aborder le sujet avec des patients plus jeunes, dès l'âge de 16 ans.
Le fait qu'un projet de loi puisse être voté sans véritable participation de la communauté médicale soulève d'autres inquiétudes, notamment au sujet de la liberté de conscience des médecins. Le seul amendement accepté par Kim Leadbeater et voté, dispose que « personne n'est tenu de participer à l'aide à mourir selon cette loi ». Mais le texte actuel oblige le médecin qui refuserait de pratiquer le suicide assisté, d'adresser son patient à un collègue favorable à cette pratique. Toutefois, dans le cas où le médecin récalcitrant ne le ferait pas, le texte ne prévoit pas de sanctions. Cela ouvre ainsi la voie à de futurs procès entre médecins et patients, qui pourraient provoquer un changement de législation à long terme. Ainsi, étant donné l'opposition considérable parmi les psychiatres et les généralistes, le projet de loi semble difficilement applicable sans révision. En l'état, il risque de contraindre les médecins et de renforcer les divisions au sein de la profession.
Les non-dits du projet de Leadbeater font craindre aussi à ses opposants, une dérive similaire à celles observées au Canada, en Belgique ou aux Pays-Bas. En Hollande, le nombre de suicides assistés est passé de 1 882 cas en 2002 à 9 068 en 2024, soit une hausse de 381% en 22 ans. Au Canada, il a augmenté de 1 018 cas en 2016 à 15 280 en 2023, soit une croissance de 750%. En 2020, la Cour suprême néerlandaise a autorisé l'euthanasie pour les patients atteints de démence avancée, à condition qu'un consentement écrit ait été donné auparavant, alors que la personne était encore lucide. Enfin, depuis le 1er février 2024, de nouvelles régulations permettent l'euthanasie pour les enfants âgés de 1 à 12 ans atteints de maladies incurables, comme certaines malformations congénitales du cerveau, des poumons ou du cœur, ou encore de maladies métaboliques.
Le 14 mai, le Parlement écossais a accepté d'étudier son propre projet de loi sur l'euthanasie, plus libéral encore que celui de Westminster. Ayant passé l'étape de la première lecture, le texte écossais ouvre le suicide assisté à tous dès l'âge de 16 ans, à condition, d'avoir une maladie en phase terminale et d'être jugé mentalement apte à prendre cette décision, qu'importe la pathologie. Kim Leadbeater s'est engagée à ne pas suivre les modèles libéraux de ses voisins européens et du Commonwealth. Mais si l'Écosse adopte une approche aussi expansive dans quelques semaines, ses mesures pourraient avoir une forte répercussion sur le sort du projet de loi de Westminster.