BitChat, une application qui rappelle que le totalitarisme numérique est toujours contournable
Depuis plusieurs mois, nous documentons la montée d'un régime de contrôle numérique porté par les institutions européennes : extension de la censure par des règlements successifs, arrivée de l'identité et de l'euro numérique, multiplication des organes supranationaux de normalisation idéologique... Pour nombre d'observateurs, ces dynamiques révèlent un glissement où la maîtrise technologique sert et accroît un pouvoir toujours plus intrusif, au point d'évoquer d'éventuelles dérives autoritaires. Mais la technologie garde une longueur d'avance et certaines innovations finissent par ouvrir des brèches. BitChat est un bon exemple. Cette application de messagerie créée, en un week-end, par Jack Dorsey (entre autres cofondateur de Twitter), fonctionne sans internet, sans réseau, sans serveur et garantit un anonymat total. Dans une UE où le smartphone deviendra de facto obligatoire (juridiquement, l'UE n'impose pas le smartphone ; mais techniquement, elle conçoit un système qui ne peut fonctionner qu'avec), cette densité d'appareils pourrait, ironiquement, créer les conditions d'un réseau d'échanges hors de contrôle, offrant des marges de liberté que les systèmes centralisés voudraient justement éliminer.
Concrètement, chaque téléphone qui installe BitChat devient à la fois émetteur et relais. Deux appareils proches physiquement (rayon de 15m, mais potentiellement plus) se connectent via Bluetooth et peuvent échanger des messages directement. Pour joindre quelqu'un plus loin, les autres téléphones servent de relais jusqu'au destinataire. L'ensemble forme un « réseau maillé », un tissu où la portée dépend du nombre de personnes physiquement présentes. Tout est chiffré de bout en bout, les téléphones qui servent de relais ne lisent rien, ils ne font que contribuer à la transmission du message. Une sorte de téléphone arabe moderne où le message ne se déforme pas et reste confidentiel. En théorie, car si des méthodes d'authentification existent lorsqu'on est côte à côte, l'identité n'est pas garantie à distance. Retrouvez tous les détails techniques ici.
Un État autoritaire a tout de même des leviers comme interdire l'app sur les stores, tenter de la détecter ou imposer des appareils bridés où seules les apps « officielles » peuvent s'installer. C'est ce qu'on observe dans certains systèmes d'exploitation très contrôlés (le logiciel qui fait tourner le téléphone, comme iOS chez Apple) : par exemple, HarmonyOS de Huawei, conçu pour limiter l'installation d'apps non certifiées (modèle courant en Chine). Mais, même là-bas, des outils circulent facilement (comme SakuraCat, un VPN local très efficace, là où les VPN occidentaux peinent). La censure numérique fonctionne surtout pour les novices et les dociles, car, pour ceux qui veulent la contourner, elle ressemble davantage à un rideau de fumée qui témoigne plus des intentions de ceux qui la mettent en place, que d'une véritable efficacité. Le Bluetooth, quant à lui, ne peut pas être désactivé à distance sans rendre des millions de téléphones quasi inutilisables pour leurs usages normaux : dispositifs connectés, GPS embarqués... C'est théoriquement possible, mais politiquement et techniquement intenable (cela nuirait à la réputation du constructeur, car cela implique une collaboration active avec un régime autoritaire).
L'apport conceptuel de BitChat est redoutable, car il rend très difficile l'idée d'un contrôle absolu des communications de proximité. Même si la version originale disparaît, le principe survit. BitChat incarne l'idée que, tant qu'il existera des téléphones et du code libre, des individus pourront toujours se parler en marge de l'infrastructure officielle. Et ça marche ! Le Népal en a donné la preuve : malgré la coupure totale d'internet, des milliers de manifestants ont utilisé BitChat. Ils ont pu se coordonner jusqu'à la chute du gouvernement (cf. notre sélection), grâce à la fonction de messagerie, mais aussi à celle de discussion collective.
Jack Dorsey est politiquement inclassable : progressiste sur certains points, conservateur sur d'autres, mais avec une nette sensibilité libertarienne. Il s'est récemment fendu d'un « Thomas Massie for President » (républicain, souvent à contre-courant). Mais la société américaine, dans sa globalité, tolère plus la nuance et le positionnement politique qu'en France, où les étiquettes et archétypes sont plus rigides et la diabolisation plus marquée et diffuse. Quoi qu'il en soit, il assume le caractère dissident de ce projet. Sur le site officiel, il décrit une messagerie capable de survivre à la censure, aux black-out et au contrôle autoritaire. Et ce n'est ni une posture ni un calcul commercial, car l'app est open source, c'est-à-dire que son code est public, consultable et modifiable. BitChat n'appartient à personne : c'est un outil, pas un produit. De plus, des IA peuvent désormais coder des apps sur une simple requête. Les perspectives deviennent illimitées, même pour les profanes. On assiste à une forme de résistance numérique. Une note optimiste dans une direction qui évoque parfois une dystopie coécrite par Huxley et Orwell. Dans Le Meilleur des mondes comme dans 1984, souvent cités (nous avons fait un clin d'œil avec L'UE a lancé son ministère de la Vérité), il n'existait aucun outil de communication individuelle. Grande différence avec aujourd'hui, où l'outil peut être autant ennemi qu'allié.
- Messagerie sans internet, sans serveur, sans identifiant : un réseau maillé autonome qui fonctionne même lors de coupures ou de censures, grâce au Bluetooth.
- Chaque téléphone joue le rôle d'émetteur et de relais. Les messages chiffrés sautent de proche en proche, sans jamais dépendre d'une antenne ou d'un opérateur, rendant toute interruption globale pratiquement impossible.
- Code public, duplicable, modifiable : BitChat peut être copié, renommé, intégré ailleurs. On peut interdire une app, mais pas une idée reproductible. Toute tentative d'étouffement entraîne mécaniquement sa réapparition sous une autre forme. C'est un outil, pas un produit.
- Le Népal a offert la première preuve d'utilisation concrète. Lors des coupures massives de réseaux et de plateformes, des dizaines de milliers de personnes ont utilisé l'app pour communiquer. Preuve concrète qu'un réseau décentralisé, en marge, peut survivre là où l'infrastructure officielle s'effondre.