Santé

L'Assemblée mondiale de la Santé à Genève : inquiétudes et interrogations

Par Peter Bannister - Publié le 26/04/2024 - Image : logo de l'Organisation Mondiale de la Santé sur un mur en bois (United States Mission Geneva / Wikimedia Commons)
L'OMS a été l'objet de vives polémiques au sujet de la proposition d'un accord international sur la gestion des pandémies. Présenté par son directeur-général comme une nécessité absolue, certains craignent, suivant la pandémie du covid-19, que les mesures ne mènent vers une dangereuse perte de souveraineté des états membres en matière de politique sanitaire. Retour sur un débat parfois houleux.

Menace existentielle pour les libertés individuelles ou hantise des complotistes ? L'Organisation mondiale de Santé (OMS) se trouve à nouveau sous les feux de la rampe. Objet phare : les négociations actuelles au sujet d'un traité / accord mondial sur les pandémies et des amendements au règlement sanitaire international (RSI) de 2005. Les 194 états membres de l'OMS devraient se prononcer sur les deux textes en question lors de l'Assemblée mondiale de la Santé à Genève entre le 27 mai et le 1er juin. Pour le directeur-général de l'OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus, il s'agit de mesures essentielles pour résoudre les problèmes de gestion rencontrés par les pays pendant la pandémie du Covid-19. Pour les voix critiques, il s'agit par contre d'une tentative illégitime de transférer des pouvoirs décisionnels des 194 états membres de l'OMS à son directeur-général. Certains, dont le Pr Christian Perronne (ancien vice-président du groupe d'experts européens de l'OMS pour les vaccins), craignent une perte de souveraineté. Cela ouvrirait la voie à l'imposition de mesures liberticides par une instance non-élue, influencée par les lobbies pharmaceutiques, ses financiers tels que Bill Gates et même par le Parti Communiste Chinois.

Pour l'instant, il n'est pas sûr que les discussions à Genève aboutissent à la signature du traité — la ratification nécessite l'accord de deux tiers des états membres. En revanche, le RSI est déjà un instrument juridiquement contraignant qui peut être amendé par un vote à majorité simple. Les documents sont loin d'être faciles : une copie (110 pages) du dernier brouillon du traité (dans sa version du 13 mars), obtenue par le chercheur James Rogulski, comporte des centaines de modifications apportées par les pays individuels. Face à cette complexité, les discussions ont pris du retard, en particulier sur les questions controversées de la propriété intellectuelle des produits médicaux et de l'équité entre les différentes zones géographiques. Le Sud global aurait mal vécu le fait d'avoir fourni des échantillons des pathogènes et leurs séquences génomiques à la communauté scientifique internationale, qui a ensuite utilisé ces données pour développer des vaccins et autres traitements auxquels le Sud n'a pas pu accéder.

Pour Christian Perronne, le problème principal du traité se situe pourtant ailleurs. Selon lui, il constituerait un « chèque en blanc » donné à l'OMS : « chaque pandémie que nous avons eue depuis 20 ans est en réalité un prétexte pour la mise en place d'une gouvernance mondiale ». L'article 3 du projet du traité affirme certes le principe de la souveraineté en matière de santé, et Tedros Ghebreyesus a fermement dénoncé « un déferlement de fausses informations, de mensonges et de théories du complot » à ce sujet, mais pour beaucoup, l'OMS s'est décrédibilisée par sa gestion controversée de la pandémie du Covid-19. Ce sont justement ses manquements à cet égard qui ont été critiqués par le député américain Dr Brad Wenstrup (du sous-comité de la Chambre sur la pandémie) lors d'une conférence de presse au Capitole le 5 février. Wenstrup a notamment cité le refus de l'OMS, début 2020, de reconnaître la transmission du SARS-CoV2 entre les humains et son annonce tardive de la pandémie en tant qu'urgence de santé publique — alléguant que l'OMS avait effectivement accepté sans critique le récit officiel du Parti communiste chinois.

En Angleterre, un débat parlementaire a eu lieu le 18 décembre 2023 en réponse à une pétition de 116 391 signatures s'inquiétant du manque de discussion publique sur les changements proposés au RSI. Ces préoccupations semblent être partagées par certains membres du gouvernement : en mars 2024, la ministre Esther McVey a déclaré dans The Telegraph que « nos lignes rouges dans les négociations incluent le fait de ne pas accepter quoi que ce soit qui cède la souveraineté, […] notre capacité à prendre toutes nos propres décisions nationales » concernant « des confinements ou des restrictions, l'obligation de vaccination et le port de masques, ainsi que les décisions concernant les voyages à l'entrée et à la sortie du pays. »

Le même thème de souveraineté apparaît dans les propos du groupe de travail panafricain, très critique par rapport aux confinements et autres mesures imposées pendant la pandémie, qualifiant le projet du traité de « colonialiste » : « C'est de l'impérialisme sanitaire que de subjuguer les connaissances d'autres parties du monde et de penser que les innovations médicales et les connaissances sur la COVID-19 ou d'autres pandémies doivent venir de Genève ou des pays développés. » S'il est difficile de juger l'impact sur les négociations à venir de telles protestations, elles semblent exprimer un souci commun malgré leurs différents contextes : celui des intérêts locaux devant un rouleau compresseur juridico-sanitaire qui risque de les écraser. Les semaines qui viennent diront si ces voix sont entendues au bord du Lac Léman.

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Santé : l'OMS veut un traité sur les futures pandémies
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