Xi Jinping à l'heure des 75 ans de la République populaire de Chine
Le 1er octobre 2024, la République populaire de Chine fête ses 75 ans, avec le président Xi Jinping fermement à la barre en tant que leader suprême. Depuis qu'il est devenu secrétaire général du Parti communiste en 2012 et Président l'année suivante, Xi est largement considéré comme le dirigeant chinois le plus puissant depuis le « grand Timonier » Mao Zedong. D'autant plus que le Parti a décidé en 2017 d'inscrire « la pensée de Xi Jinping » dans sa constitution et d'abolir en 2018 la limite de deux mandats présidentiels. Dans la pratique, la Chine est devenu un État dirigé par l'homme « le plus solitaire du monde » (selon le sinologue Salvatore Babones), ayant cumulé tous les pouvoirs. « La pensée de Xi Jinping » y est non seulement enseignée depuis l'école primaire, mais aussi par une application sur smartphone lancée en 2019 qui mesure le temps que les utilisateurs y passent... Sorte de pendant numérique du « Petit livre rouge » de Mao, l'application est un élément de ce que Steven Tsang, auteur avec Olivia Cheung d'une étude majeure sur ce sujet, a appelé son « écosystème de surveillance de masse ». Mais quels sont les éléments clés de sa pensée et comment se traduit-elle dans la pratique ?
Tsang et d'autres soulignent que la vision de Xi pour la Chine est basée sur le pouvoir et le contrôle. Tout passe par le Parti communiste, qu'il voit comme étant indispensable au développement de la société. Pour Xi, la Chine devrait être une nation totalement unifiée sous un seul parti et un seul chef suprême (qui, dans son cas, ressemble à un « empereur à vie »). Ce schéma ne tolère aucune différence, ni au sein du Parti ni dans la société dans son ensemble (comme l'ont découvert les Ouïgours, des chrétiens jugés trop réfractaires, ou les dissidents à Hong Kong). Dès 2013, Xi a affirmé que l'erreur de l'URSS était d'avoir permis l'émergence du « traître » Gorbatchev et que cela n'arriverait pas sous sa direction. Il a ensuite consolidé son pouvoir par une campagne « anti-corruption » qui a liquidé toutes les factions rivales au sein du Parti. Alors que sous ses prédécesseurs Jiang Zemin et Hu Jintao, le pouvoir décisionnel était exercé collectivement par le Politburo, Xi est désormais seul en tête. Pourtant, si certains ont décelé des signes d'un culte de sa personnalité en Chine, Xi ne correspond pas à l'image classique d'un dictateur capable de tous les caprices : il se présente comme agissant dans la plus stricte légalité et n'a aucune base de pouvoir autre que celle du Parti lui-même. Ce dernier, comme le souligne Olivia Cheung, pourrait finalement fonctionner sans Xi, alors que l'inverse serait impossible.
Xi déclare souvent son allégeance au marxisme, mais redéfini dans un sens léniniste, hautement centralisé, selon laquelle le Parti n'est pas voué à disparaître un jour mais joue un rôle perpétuel. Le socialisme de Xi combine le communisme classique avec des concepts confucianistes traditionnels de vertu publique, d'harmonie et d'ordre. Son engagement en faveur du développement économique et technologique ressemble fortement au capitalisme, mais avec une très forte participation de l'État.
La politique étrangère sous Xi se caractérise par une attitude assertive — parfois qualifiée de « diplomatie des loups guerriers » — qui rompt avec celle pratiquée par la Chine depuis Deng Xiaoping. Celui-ci prônait un profil bas avec son adage « cacher ses talents pour attendre son heure ». Le « rêve chinois » nationaliste de Xi vise à redonner à la Chine la place qui lui reviendrait dans le monde. Dans une allocution en 2021 à l'occasion du centenaire du Parti, Xi a présenté sa vision de l'histoire moderne de la Chine comme une lutte communiste pour le « renouveau » national après l'humiliation par l'Occident pendant la période suivant la première guerre de l'opium de 1840. L'un des aspects de ce « renouveau » est la vaste initiative « Ceinture et Route » pour des projets d'infrastructure internationaux, principalement dans le Sud Global. Un deuxième aspect, qui a amené à beaucoup parler du risque d'une confrontation militaire avec l'Occident, est l'idée de la« réunification » de la Chine, commençant par la réintégration de Macao et de Hong Kong, puis celle de Taïwan, même si Taïwan conteste fortement l'argument, en affirmant que l'île n'a jamais été sous le contrôle de la République populaire de Chine. Dans son discours au 20e congrès du Parti en 2022, Xi a clairement indiqué qu'il ne renoncerait pas à l'usage de la force contre Taïwan. La question de savoir si une invasion est imminente est l'objet de toutes les spéculations, compte tenu des démonstrations massives de la force chinoise et une propagande intense anti-taïwanaise dans les médias d'État. Une série diffusée par la télévision centrale vient par exemple de présenter une simulation de la prise de l'île par l'armée chinoise. La série est certainement censée rallier l'opinion publique à la position dure de Xi à l'égard de Taïwan ; seul l'avenir dira si sa diffusion à ce moment précis présage un passage à l'acte, qui pourrait réaliser le rêve de Xi mais aussi mener à un désastre international.