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Viktor Orbán veut mettre Budapest au centre de l'Europe

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 05/06/2024 - Photo : Viktor Orbán en visite à Bruxelles, le 13 décembre 2019 (crédit: Shutterstock).
La Hongrie va assurer la présidence tournante du Conseil européen en juillet. Viktor Orbán, son Premier Ministre depuis 2010, s'affiche comme un « rebelle » voire l'ennemi des élites de Bruxelles. Malgré son ambition de changer la face de l'UE, soutenue par une stratégie structurée pour gagner en influence, il reste isolé sur la scène européenne, sans projet alternatif élaboré.

Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán affirme sa volonté de prendre le contrôle du navire européen… Pas comme un flibustier avec un pavillon noir mais avec la ferme intention de changer le cours de l'histoire européenne. En d'autres termes, Orbán est différent du Britannique Nigel Farage, l'avocat du Brexit : il n'entend pas sortir de l'Union européenne. Les élections européennes arrivent à point nommé : les blocs des droites identitaires ont le vent en poupe dans les sondages et la Hongrie doit assurer la présidence du Conseil européen à partir de juillet prochain pour six mois. Viktor Orbán est le Premier Ministre hongrois depuis 2010. Envahie, découpée hier, la Hongrie d'aujourd'hui est en passe de jouer un rôle majeur en Europe : Orbán représente l'opposition la plus forte au libéralisme des élites bruxelloises. Et il a l'aura d'avoir gouverné sur une longue période, au point que de nombreux chefs de partis nationalistes et intellectuels conservateurs cherchent à se montrer à ses côtés…

L'opposition à Bruxelles, qu'Orbán représente, est en effet profonde : c'est une fracture idéologique qui devient béante, rappelle Lily Lynch pour UnHerd (voir l'article en lien). Ses adversaires ne cessent de le représenter comme une menace pour les « valeurs européennes ». Le problème est que ces « valeurs » sont difficiles à définir – surtout depuis que l'UE a rejeté toute référence au christianisme. Reste le libéralisme érigé en valeur absolue qui réunit la domination de la loi du marché, du consumérisme et le respect absolu des « droits individuels ». Ce progressisme social, qui entend combattre toute entrave au port de signes religieux et fait la promotion active des « droits LGBT+ », est considéré comme une nouvelle forme de colonialisme dans le « Sud global ». Les peuples européens eux-mêmes semblent vouloir tirer de sérieux coups de semonce début juin face à des élites qu'ils jugent éloignées de leurs aspirations. Le paquebot européen navigue sans gouvernail : c'est une cible de choix pour un homme aussi rusé qu'Orbán.

En 2022, la chaîne de télévision Euronews a été achetée par un fonds d'investissement portugais – proche du gouvernement hongrois. La main de Budapest était clairement visible : le fonds souverain du pays (Széchenyi Funds – l'équivalent de notre BPI France) a investi 45 millions d'euros. L'objectif affiché était d'acquérir une des sociétés médiatiques les plus influentes dans la politique européenne et de casser son « penchant gauchiste » selon les documents internes au fonds hongrois. Orbán est rompu à ce type d'exercice : il contrôle avec des membres du parti Fidesz 90 % des médias hongrois. Le déménagement d'Euronews de Lyon à Bruxelles démontre l'ambition hongroise après l'acquisition d'un hôtel particulier en plein centre de la capitale belge. Le média anglophone The European Conservative est financé par le gouvernement hongrois… Toutes ces initiatives confirment que les projets d'Orbán sont sérieux : il ne s'agit pas de « casser » l'UE mais de gagner la bataille politique et idéologique.

Car, dans l'esprit de Viktor Orbán, la tension entre « fédéralistes » et « souverainistes » est normale : elle permet un équilibre entre le respect des nations et l'autorité nécessaire pour faire aboutir des projets communs. De son point de vue, ce sont les « fédéralistes » qui, devenus progressistes, mettent en danger l'équilibre démocratique. Il reste que c'est bien l'UE — avec le concours du FMI et de la Banque mondiale — qui a sauvé la Hongrie de la faillite en 2008, en mettant 25 milliards d'euros sur la table… Le Fidesz a profité de la détresse de la population face aux mesures drastiques d'austérité pour prendre le pouvoir. Orbán se trouve d'ailleurs isolé sur la scène européenne depuis que le Fidesz a été expulsé du Parti populaire européen (PPE) en 2021 à cause d'atteintes à « l'État de droit » jugées trop importantes en Hongrie. Et il n'a pas encore rejoint l'un des deux groupes de la droite populiste siégeant à Bruxelles (les Conservateurs et réformistes européens (CRE) avec Giorgia Meloni et le groupe ID « Identité et démocratie » où figure le RN français)… C'est la faiblesse de l'alternative hongroise. Ces deux groupes sont d'ailleurs divisés entre le CRE favorable à la politique otanienne en Ukraine et l'ID plutôt anti-atlantiste. Orbán cherche à garder de bonnes relations non seulement avec la Russie mais aussi avec la Chine. Et – à l'inverse de nombreux conservateurs européens – il est pour l'élargissement de l'UE en plaidant pour l'inclusion de la Serbie et même de la partie serbe de la Bosnie.

La posture de Viktor Orbán est fragile : sa prétention à représenter « l'Europe chrétienne » face aux ultra-libéraux de Bruxelles manque de crédibilité. On ne le voit pas à la messe et pendant son « règne » le catholicisme en Hongrie s'est écroulé de 30 % selon un sondage de 2023 pour être aujourd'hui minoritaire. Orbán personnalise le problème des souverainistes : quelle alternative idéologique crédible opposer aux fédéralistes bruxellois ?

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