Victoire diplomatique de la Chine au Moyen-Orient
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Victoire diplomatique de la Chine au Moyen-Orient

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 13/03/2023 - Illustration : Shutterstock
L’Iran et l’Arabie Saoudite ont décidé de rétablir des relations diplomatiques après sept ans d’une rupture envenimée par le conflit au Yémen. Et cet accord a été permis par l’entremise de Pékin (voir l’article du Wall Street Journal en lien). Voilà que sans bruit, alors que les Américains sont absorbés par leur guerre contre la Russie en Ukraine, la Chine s’affirme comme un acteur majeur de la géopolitique de cette région ultra-sensible… Et rebat les cartes des équilibres régionaux jusqu’à présent distribuées par Washington. L’Iran et l’Arabie Saoudite sont des fournisseurs majeurs de pétrole pour la Chine, et ont cherché à renforcer leurs liens économiques. Mais c’est la première fois que Pékin s’implique aussi clairement dans le théâtre des rivalités autour du golfe Persique. Les médias iraniens ont rapporté que l’accord a été conclu à Pékin en présence d’officiels iraniens et saoudiens de haut rang. Il intervient trois mois après la visite de Xi Jinping à Riyadh et celle du Président iranien Ebrahim Raisi à Pékin le mois dernier. La réouverture des ambassades et services consulaires doit se faire dans les 60 jours et les deux pays se sont engagés à ne pas s’impliquer dans les affaires intérieures d’autres États. Leurs ministres des Affaires Étrangères donneront des détails lors d’une rencontre prochainement.

Les liens diplomatiques avaient été rompus en 2016 après que l’ambassade saoudienne à Téhéran eut été envahie par des manifestants protestant contre l’exécution d’un religieux chiite saoudien. Commençait une phase brûlante de la vieille haine entre Chiites et Sunnites qui déchire le Moyen-Orient depuis des décennies. Iraniens et Saoudiens ont soutenu des belligérants opposés de la Syrie au Yémen, et la tension a culminé en 2019 quand des attaques de drones ont frappé des champs pétroliers en Arabie Saoudite. Si l’accord apparaît comme un coup de maitre de Pékin, il a été favorisé par des signes d’apaisement. D’abord au Yémen où une trêve soutenue par l’ONU tient vaille que vaille depuis un an. La Syrie n’est plus un enjeu depuis que le Président Bachar al-Assad a gagné la guerre avec l’appui des Russes et des Iraniens. Les Émirats Arabes Unis ont déjà rouvert leur ambassade à Téhéran l’année passée.

Cet accord ne scelle pas une alliance entre Iraniens et Saoudiens. Il ne ferme pas le fossé ouvert par les intérêts divergents au Liban, en Syrie ni au Yémen. Il n’aborde pas la question du programme nucléaire iranien qui a fait de l’Iran un pays paria depuis une vingtaine d’années. Les sanctions américaines ont mis l’économie iranienne à genoux. Il n’empêche : cet accord permet une réduction significative des tensions, un progrès qu’on pensait impossible. Et c’est une défaite cuisante pour Washington dans une région stratégique, après plusieurs guerres menées et des centaines de milliards de dollars dépensés… L’intervention russe en Syrie avait déjà démontré le recul de l’influence américaine, confirmé par le succès de la diplomatie secrète chinoise. La Chine est le seul débouché pour le pétrole iranien, et elle s’est hissée à la première place parmi les partenaires commerciaux de l’Arabie Saoudite. Cette dernière importe depuis peu des technologies militaires sensibles de Chine dans le domaine des missiles… L’inquiétude était grande à Téhéran de voir les liens entre Saoudiens et Chinois se renforcer, isolant encore plus l’Iran. Pendant sa visite à Riyad en décembre, Xi Jinping avait d’ailleurs participé à un appel des pays arabes demandant aux Iraniens de coopérer avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). La réaction de Téhéran a montré à Xi Jinping qu’il y avait un boulevard diplomatique à exploiter pour devenir un acteur régional de premier plan.

L’administration Biden a offert cette victoire diplomatique à la Chine en se détournant de la région pour se focaliser sur l’Ukraine et la Russie. Les Saoudiens en ont conclu que l’avenir serait multipolaire et que si les bases U.S. restaient une garantie de sécurité, il fallait développer les relations avec la Chine et la Russie, pays dont la diplomatie ne s’embarrasse pas de leçons sur les « droits de l’homme ». C’est un affront fait à Washington alors que les relations sino-américaines sont glaciales. Le Président Biden a bien essayé de raviver l’alliance avec le Prince Mohammed bin Salman lors d’un voyage à Riyad en juillet – mais sans résultats. Les avancées réalisées par l’administration Trump qui avait rapproché Saoudiens et Israéliens face à l’Iran, sont remises en question. L’inquiétude est donc très grande en Israël déjà confronté au tumulte de sa politique intérieure. Yair Lapid, le chef de l’opposition israélienne, parle d’une grave faillite des affaires étrangères de son pays et de l’écroulement d’un « mur de défense régional qui prenait forme face à l’Iran ». Alors que Xi Jinping vient d’être réélu pour un troisième mandat, la Chine porte un coup à son rival dans une région qui est devenue le « ventre mou » de la diplomatie américaine.
La sélection
Victoire diplomatique de la Chine au Moyen-Orient
Saudi Arabia, Iran restore relations in deal brokered by China
The Wall Street Journal
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