Une histoire de trou noir
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Une histoire de trou noir

Par Janus Maat - Publié le 11/04/2023 - Photo : le trou noir au centre de la galaxie M87, 6 milliards de fois plus massif que notre Soleil et situé à cinq cent mille millions de milliards de kilomètres de la Terre
Hier, le 10 avril, c'était l'anniversaire de cette première image d'un trou noir. Je la regarde à nouveau. Ma femme est à mes côtés. « On dirait une photo que j’aurais prise en mettant par erreur mon doigt devant l’objectif ». Je souris. Et pourtant, il y a 4 ans, pour la première fois, l’homme a capturé l’image de l’objet le plus fascinant de l’Univers. Alors que ma femme y voit une ombre floue, j’y vois la boue des tranchées, un indien rempli d’espoirs sur un bateau, des soldats allemands qui passent une frontière, et le père de la bombe atomique au regard bleu perçant.

La plume qui court sur du papier humide en ce 22 décembre 1915 est tenue par des doigts gelés. Alors que les combats font rage sur le front de l’est où il est engagé volontaire, Karl Schwarzschild conclut une lettre qu’il destine à Albert Einstein. Après avoir lu le dernier article du savant allemand, Schwarzschild s’est mis au travail et a trouvé une solution exacte des équations d’Einstein. Il conclut ainsi sa lettre : « Comme vous le voyez Mr. Einstein, la guerre est assez indulgente envers moi pour m’autoriser, malgré les coups de canon qui résonnent à une distance terrestre raisonnable, de faire une promenade dans votre pays des idées. »

Mais la solution mathématique des équations qu’il obtient est étrange. Schwarzschild prédit que si un astre est suffisamment dense, équivalent au Soleil comprimé dans un rayon de la taille de Paris, ou la Terre dans une coquille de noix, la lumière elle-même s’y retrouve piégée et l’astre est invisible. Rien de ce qui s’y passe à l’intérieur n’est accessible à notre monde. Séduit par cette solution, Einstein la propose le 13 janvier 1916 à l’Académie prussienne des sciences, la qualifiant de « splendide », puis la fait publier. Deux mois plus tard Schwarzschild tombe malade sur le front. Rapatrié à Potsdam, il y meurt le 11 mai à seulement 42 ans.

Été 1930. Accoudé au bastingage d’un paquebot de la compagnie Lloyd Triestino, Subrahmanyan Chandrasekhar admire le canal de Suez et le génie de ses bâtisseurs. Cela fait déjà deux semaines qu’il est en mer pour rejoindre l’Angleterre depuis Bombay. Le jeune homme a 19 ans, pleins d’espoirs dans la tête, et une ambition débordante. Il a été admis dans la plus prestigieuse des universités, Cambridge, pour y faire son doctorat. Il a dans ses bagages un article où son directeur de thèse, l’astronome Fowler, explique comment les étoiles en fin de vie se compriment pour devenir des naines blanches, boules de feu hyper denses. Une densité équivalente au Soleil comprimé dans un astre de la taille de la Terre. Mais quelque chose chagrine le jeune homme. La vitesse des électrons approchant celle de la lumière, il faut utiliser les récentes théories d’Einstein, et non celles de Newton. En passant par Alexandrie, il a beau retourner ses équations dans tous les sens, rien n’y fait. Si le cœur d’une étoile est 1,4 fois plus massif que notre Soleil, elle ne finit pas en naine blanche, mais s’effondre sur elle-même, la gravité prenant le dessus sur la pression. Il faudra en discuter avec Fowler dès son arrivée à Cambridge.

1er septembre 1939. Un soldat allemand soulève une barrière à la frontière de la Pologne pour y laisser passer une colonne de blindés. Le monde entre dans l’obscurité absolue jusqu’au réveil radioactif d’Hiroshima. Le même jour, la revue américaine Physical Review publie un article au titre évocateur : « le mécanisme de la fission nucléaire », par Niels Bohr, père fondateur de la mécanique quantique. Cinq pages plus loin s’y trouve un autre papier intitulé « de l’effondrement gravitationnel continu », où Hartland Snyder et son directeur de thèse calculent qu’une étoile suffisamment massive finit sa vie en un objet d’où aucune lumière ne s’échappe : la fameuse solution de Schwarzschild. Ce directeur de thèse n’est rien d’autre que Robert Oppenheimer, juif d’origine allemande, qui, à la tête du projet Manhattan mettra au point, 6 ans plus tard, la première bombe à fission nucléaire, qui mettra fin à la guerre, à partir des calculs de… Bohr. Il est des moments dans l’histoire où le destin semble tristement s’amuser des circonstances.

Mais pourquoi une étoile s’effondre-t-elle ? Il faut imaginer une étoile comme un ring où deux lutteurs se font face : la force nucléaire et la gravité. Tandis que la force nucléaire, telle une cigale chantant tout l’été, va convertir son énergie de fusion en chaleur, consommant son hydrogène, la gravité reste quant à elle une imperturbable fourmi. Elle gagne du terrain, inexorablement. Pour une étoile plus massive que 25 fois la masse du Soleil, la gravitation est telle qu’aucune pression nucléaire ne peut lui résister. Le cœur s’effondre alors dans une solution de Schwarzschild, plus connue désormais sous le nom de… trou noir. Et depuis, des dizaines d’entre eux sont observés chaque année au travers des déformations qu’ils font subir à l’espace lors de leurs collisions.

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