Médias

L'UE a lancé son ministère de la Vérité

Par Raphaël Lepilleur. Synthèse n°2563, Publiée le 03/10/2025 - Photo : Le règlement European Media Freedom Act permet de superviser le marché des médias dans toute l'UE. Crédits : Shutterstock.
Présenté comme une protection pour les journalistes, un système centralisé de contrôle de l'information a été instauré par l'UE, mais qui pourrait aboutir à l'inverse. Création d'une instance de contrôle supranationale (l'ARCOM en relais), protection des sources fragilisées, persécution facilitée, censure institutionnalisée, distinction entre « bons » et « mauvais » journalistes… 1984 d'Orwell, version européenne.

Ce règlement, surnommé European Media Freedom Act, adopté le 11 avril 2024, a été porté par trois rapporteurs : Sabine Verheyen (Allemagne), Geoffroy Didier (LR, France), Ramona Strugariu (Roumanie). Les deux premiers appartiennent au Partie Populaire Européen (PPE), la formation de la présidente Ursula von der Leyen, qui milite officiellement (noir sur blanc dans ses statuts) pour une Europe fédérale. La troisième vient d'une mouvance politique europhile et fédéraliste, dont est issu l'actuel président roumain, arrivé au pouvoir après l'annulation controversée des élections (initialement remportées par un candidat hostile à l'UE). Au parlement, elle siège dans le groupe « Renew Europe » (présidé par Valérie Hayer), allié du PPE. Ce texte est donc le produit d'un militantisme assumé et officiel. Né à l'initiative de la Commission européenne (seule habilitée à proposer des lois), porté par des élus PPE et alliés, et adopté grâce aux votes PPE et alliés (du centre à l'extrême gauche, retrouvez ici la liste interactive des votants). La Commission n'est pas élue, mais désignée par les gouvernements, puis validée par le Parlement (où elle a donc une majorité acquise). Si le processus venait à échouer, la présidente dispose d'outils pour forcer l'adoption d'un texte, l'équivalent d'un « 49.3 européen », déjà utilisé.

Ce texte concerne tout ce qui entre, de près ou de loin, dans la catégorie « services de médias ». De la télévision aux podcasts, de la presse en ligne aux web TV, des grandes plateformes aux petits créateurs… On peut considérer qu'il revient à instituer ce qu'Orwell appelait le « ministère de la vérité », car il instaure la création d'un organe supranational de gestion des médias, relié aux régulateurs nationaux, formant un édifice pyramidal qui centralise le pouvoir. En France, ce rôle majeur de relais revient à l'ARCOM, lequel est désormais en lien direct avec Le Crif, la fédération des centres LGBTI+, Flag!, la Licra, M'endors pas (association fondée par la fille de Gisèle Pelicot), le Mouvement du Nid, Osez le féminisme, le Planning familial, Respect Zone, Sos Homophobie, SOS Racisme et Addam. On note peut-être une légère teinte militante et idéologique. Mais ce n'est pas tout (texte en sélection, à mettre en perspective).

L'article 4 dresse une liste d'interdictions : obliger un média à révéler ses sources, emprisonner, sanctionner, intercepter, perquisitionner, saisir ou déployer des logiciels espions intrusifs. Mais l'alinéa 4 qui suit autorise des dérogations à toutes ces interdictions si trois conditions sont réunies : une « raison impérieuse d'intérêt général » (notion floue et extensible), la proportionnalité (tout aussi floue et extensible), et une autorisation judiciaire ou « d'une autorité décisionnelle indépendante et impartiale ». Plus préoccupant, le texte permet, en cas « exceptionnel et urgent », d'agir sans autorisation préalable et de demander une validation après coup. Si ces dispositions semblent classiques dans le droit, ce qui est inquiétant, ce sont les motifs invoqués, leurs définitions floues et surtout les autorités en charge (ARCOM et consorts). Comment rassurer une source avec ça ? La question est centrale, puisque la protection des sources est la base absolue du journalisme. L'idée est pensée contre le terrorisme, mais elle risque de s'élargir.

Le chapitre 3 (articles 7 à 13) institue le Comité européen pour les services de médias (European Board for Media Services). Cet organe remplace l'ERGA et devient le super-régulateur, chargé de superviser le marché des médias dans toute l'UE. Ce chapitre donne au Comité son ossature et ses (pleins) pouvoirs. Sa structure repose sur les régulateurs nationaux, qui deviennent les relais d'un pouvoir supranational (au-dessus du droit français). La Commission, sans droit de vote, siège néanmoins à toutes les délibérations. Le secrétariat du Comité est assuré par la Commission, ce qui installe une dépendance structurelle. De plus, il est précisé qu'il « aide également le Comité à accomplir ses tâches sur le fond ». Le mécanisme de consultation lui donne toute latitude pour choisir qui peut être entendu ou non.

L'article 13 concentre l'essentiel : le Comité élabore des avis sur les mesures nationales, arbitre les régulateurs, intervient sur les contenus en provenance de pays tiers, encadre la modération des contenus. Un point majeur, c'est la possibilité d'intervenir sur les médias venant de pays hors UE (article 13, point l), pour coordonner des restrictions ou des interdictions. On parle ici d'une censure géopolitique institutionnalisée, étayée à l'article 17 : si deux États membres le demandent, le Comité peut coordonner des restrictions contre tout média étranger diffusé en Europe, au nom d'un « risque grave pour la sécurité publique » (concept toujours flou et extensible). Les avis du Comité, élaborés avec la Commission, ne sont pas obligatoires en droit, mais les États doivent « mettre tout en œuvre pour en tenir compte ».

L'article 18 illustre la philosophie du règlement. Pour exister sur une grande plateforme, un acteur doit remplir une série de critères (définis par la Commission). Seuls ceux qui s'y conforment seront reconnus comme « fiables ». En cas de doute, la plateforme doit se référer aux régulateurs nationaux. Autrement dit, c'est l'État, par son régulateur, qui valide la légitimité d'un média. Un média « déclaré conforme » bénéficie ensuite d'un traitement privilégié (prévenu avant sanction, délai de 24h pour répondre, procédures accélérées). C'est donc factuel, le texte érige une distinction officielle entre journalisme « conforme » et « non conforme », donc entre bons et mauvais, gentils et méchants.

À l'article 22, Bruxelles s'arroge un droit de regard inédit sur les fusions médiatiques. Jusqu'ici compétence nationale, elles passent désormais sous supervision européenne. C'est une perte de souveraineté flagrante (normale dans une optique fédéraliste). Le critère invoqué, « nuisible au pluralisme », est une porte ouverte aux interprétations idéologiques et politiques.

En conclusion, si ce règlement s'inscrit dans ce qu'on appelle souvent les « États-Unis d'Europe », il évoque bien plus une sorte de « Chine occidentale ». Mis en perspective avec le règlement dit « Chat Control » qui instaure un système de surveillance massif des citoyens, on distingue une même logique, un pouvoir européen qui se dote d'outils de contrôle, secteur après secteur, toujours au nom du bien.

À retenir
  • Le European Media Freedom Act instaure la création d'un organe supranational de gestion des médias, relié aux régulateurs nationaux (l'ARCOM, en France).
  • L'UE pourra espionner certains médias, voire les obliger à révéler leurs sources si trois conditions, parfois floues ou extensibles, sont réunies : une “raison impérieuse d'intérêt général”, la proportionnalité, et une autorisation judiciaire ou “d'une autorité décisionnelle indépendante et impartiale”. 
  • Le texte érige une distinction officielle entre journalisme “conforme” et “non conforme”, pour avoir le  droit d'exister ou non sur une grande plateforme.
  • À mettre en perspective avec le règlement dit “Chat Control”, qui instaure un système de surveillance massif des citoyens, le pouvoir européen se dote d'outils de contrôle, secteur après secteur, toujours au nom du bien.
La sélection
RÈGLEMENT (UE) 2024/1083 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL
Lire sur le Journal officiel de l'Union européenne.
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