Torpille sur la Bastille
Politique

Torpille sur la Bastille

Par Louis Daufresne - Publié le 12/07/2019
Un nouveau « chasseur » est né et la France, en présence d'Emmanuel Macron, l’a baptisé aujourd’hui à Cherbourg (Manche). Avec un fond de cale pour fonts baptismaux. Quoique replet (99 m), le bébé ne crie jamais. Il est même ultrasilencieux. En revanche, il tape fort. Son petit nom ? Le Suffren, aîné d’une famille nombreuse de six nouveaux sous-marins nucléaires d'attaque (SNA). Le faire-part de naissance arrive à point nommé pour le 14 juillet. S’il ne pourra promener sa coque sur les Champs-Élysées, le monstre d’acier fera la fierté de son père adoptif. Emmanuel Macron s’en émouvra pour vanter la coopération militaire auprès d’Angela Merkel et de Theresa May, toutes deux invitées à Paris. Face au Brexit et au relâchement des liens transatlantiques sous l'ère Trump, le chef de l’État juge crucial d'accroître l’autonomie stratégique, en complément de l'Otan. Le message ? La France se donne les moyens des ambitions européennes. La naissance du Suffren prolonge le succès du Salon aéronautique du Bourget qui a vu la signature entre Paris, Berlin et Madrid d'un accord-cadre autour d'un projet d'avion de chasse, le Système de Combat Aérien Futur (SCAF).

Ce faisant, Emmanuel Macron enterre l’image de jeune premier mouchant du galon. Son ignorance du fait militaire, symbolisée par l’humiliation publique qu’il infligea au général de Villiers (juillet 2017), paraît très loin. Certains matériels neufs prévus dans la Loi de programmation militaire 2019-2025 paraderont dès dimanche prochain, comme le véhicule Griffon, successeur du vénérable VAB.

Après dix ans de grossesse et trois ans de retard, le dernier né de nos submersibles est présenté comme « le meilleur sous-marin du monde, à un prix extrêmement attractif et avec des capacités (…) tout à fait exceptionnelles », selon Hervé Guillou, PDG de Naval Group. Le monstre d'acier « nous classe en toute première division ». Coût du programme ? 9,1 Mds €, soit « à peu près 1 milliard par navire, 30 à 40 % moins cher que ceux de nos partenaires européens », note Hervé Guillou. Cocarde bleu-blanc-rouge sur l'étrave, le Suffren ne sera mis à l'eau qu’à la fin du mois pour être livré à Toulon avant l'été 2020. Ce bâtiment dit « de classe Barracuda » remplace le modèle Rubis entré en service au début des années 80. « C'est un bateau qui est taillé pour rencontrer des adversaires, les frôler », explique l'amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la Marine. La mission du SNA consiste à protéger le porte-avions et les sous-marins lanceurs d'engins (SNLE), porteurs des missiles nucléaires. Le SNLE se cache au fond de l’eau en attendant un ordre de l’Élysée… Dix fois plus silencieux que le Rubis, le Suffren est aussi plus endurant, pouvant rester 70 jours à la mer (contre 45 pour son prédécesseur). À la vérité, c’est un tueur, un tireur d'élite, capable de toucher à l'intérieur des terres des cibles à des centaines de kilomètres grâce à ses missiles de croisière navals, missiles antinavires Exocet et torpilles lourdes. Ce cigare de mort peut devenir « un opérateur de forces spéciales capable de mettre à terre des équipes de commandos », observe l'amiral Prazuck. La Marine ne se résume pas au groupe aéronaval, à la dissuasion et aux TCD (Transport de chalands de débarquement). Culturellement, avec un tel engin, les marins se rapprochent du combat et passent du convoiement de troupes terrestres à l’action en profondeur.

Mais qui sont les ennemis dont la France se défie et se défend avec un tel étalage de puissance ? Il y a de plus en plus de sous-marins (+ 6 % en 5 ans). On avance le nombre de 450. Si les États-Unis, la Russie, la Chine et le Royaume-Uni sont les seuls avec la France à être dotés de SNA, de nombreux pays renouvellent leur flotte (Inde, Australie) et d'autres s'en dotent pour la première fois (Malaisie, Bangladesh, Vietnam), notamment pour interdire à la Chine de se déployer à proximité de leurs côtes.

Particularité : le Suffren rompt avec l’emblème de la guerre sous-marine représentée par le périscope. Il n’en a pas. Ses « yeux » en surface, ce sont des caméras placées en haut d'un mât. Ce n’est pas la seule évolution. Selon le ministre des Armées Florence Parly, le Suffren sera aussi « plus écologique puisqu'il ne rejettera aucun déchet en mer » et permettra d'accueillir dans son équipage des personnels féminins. Une vraie révolution pour ce monde des sous-mariniers, lequel est plus clos que le plus strict des monastères.
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« Suffren », le sous-marin qui révolutionne la marine française
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