Tolkien a encore des choses à nous dire
Culture

Tolkien a encore des choses à nous dire

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 20/12/2021
Cela fait tout juste 20 ans que le premier volet de la trilogie du « Seigneur des anneaux » de J.R.R. Tolkien sortait dans les cinémas. Sous la direction de Peter Jackson, le succès – 3 milliards de dollars de recettes – a été phénoménal. Le dernier volet (« Le retour du Roi ») allait récolter 11 Oscars. Certes, les puristes ont regretté que le film fasse la part belle à l’aventure fantastique plutôt qu’au conte initiatique – mais l’œuvre cinématographique a été jugée fidèle aux livres parus dans les années 50. Les rééditions rencontrent toujours un public enthousiaste et, l’automne prochain, Amazon sortira une série en 5 saisons qui couvrira les évènements antérieurs au « Seigneur des anneaux ». Le budget alloué s’élève à 1 milliard de dollars – un record absolu.

On en oublierait presque les critiques acerbes, le mépris affiché par plusieurs critiques littéraires dès la parution de la trilogie, rappelle l’historien Dominic Sandbrook (voir son essai pour UnHerd en lien). Le redouté Edmund Wilson, auteur et critique américain dans les années 50, traita le livre de « gaminerie débile » et – il fallait oser – de « faillite de l’imagination ». Wilson, qui se définissait comme un « moderniste », sympathisant des thèses marxistes, ne pouvait que détester une œuvre qui puisait son inspiration dans les mythes et légendes nordiques et l’imaginaire médiéval. Il n’est pas le seul. L’élite de la critique littéraire de l’époque, largement politisée, portée par l’espoir des « lendemains qui chantent », ne supportait pas le succès que rencontrait chaque réédition. La féministe Germaine Greer alla jusqu’à dire : « C’est un cauchemar de réaliser que Tolkien soit devenu l’auteur le plus influent du 20ème siècle. » Elle admit néanmoins n’avoir jamais lu ses livres …

Qu’on aime ou pas l’œuvre, il est clair que « le Seigneur des anneaux » occupe une place majeure dans l’imaginaire moderne. L’idéologie marxiste s’est écroulée, Tolkien (1892-1973) est toujours aussi présent. On a traité son style de « passéiste » et de « réactionnaire ». Ce n’est pas surprenant quand on revient sur les jeunes années de Tolkien. Né en Afrique du Sud, très jeune orphelin de père, John Ronald Reuel Tolkien vécut dans la campagne anglaise avec son frère et sa mère, dans une certaine pauvreté. Mais ce furent des années de grand bonheur, où il parcourut en liberté les bois et les champs. Cela ne devait pas durer… Sa mère mourut en 1904 alors qu’il n’avait que 12 ans. Les deux frères durent vivre chez une tante dans la banlieue ouvrière de Birmingham. Les fenêtres ne donnaient plus sur des collines et des arbres, mais une mer de toits surmontés de hautes cheminées crachant des fumées noires. Les décennies 1890 et 1900 étaient empreintes de nostalgie en Angleterre : une page se tournait avec la mort de la reine Victoria et l’industrialisation massive. Voir les ouvriers sortir des usines abrutis de fatigue le renvoyait à la perte de sa propre liberté. Rien de bon ne pouvait ressortir d’un monde où les hommes étaient assujettis aux machines.

« Le Seigneur des anneaux » est aussi un livre de guerre. Arrivé sur le front de la Somme en juin 1916 comme officier des transmissions au sein du 11ème Fusiliers du Lancashire, Tolkien a composé son grand récit dans le fracas des obus et sous les fusées éclairantes. Son bataillon allait perdre 600 hommes en quelques semaines. L’étudiant d’Oxford a vu les « machines » de guerre écraser, découper amis et ennemis. Même les actes héroïques étaient noyés dans le sang et la boue. Il a cherché dans les mythes et légendes nordiques les intuitions ancestrales sur la lutte entre le Bien et le Mal, et, dans sa foi catholique, l’espérance. « Il y a du bon en ce monde qui vaut la peine de se battre » dit Sam à son compagnon Frodon. Un seul de ses amis proches, qui avaient composé sa « communauté de l’anneau », allait survivre à la guerre. En 1944, voyant arriver les nouvelles armes de destruction massive, il dit à son fils : « Nous cherchons à vaincre Sauron avec l’aide de l’anneau. Ce faisant, nous allons créer de nouveaux Sauron et changer les hommes et les elfes en orques… »

Triviale l’œuvre de Tolkien ? Certainement pas … En avance sur son temps, il a vu les ravages de la consommation de masse sur l’environnement et la vengeance des éléments sur ceux qui saccagent les forêts pour construire des cheminées et masquer les étoiles. Les contes, les sagas sont les paroles de sages venus de la nuit des temps que Tolkien nous conjure de ne pas oublier. L’anneau de pouvoir, le grand corrupteur, est le nœud de l’histoire. Il n’appartient pas à des âges anciens, il est dans le cœur des hommes et du monde moderne qui ne manque pas de « Saruman ». Il suffit d’observer l’emprise des scientifiques et de « Big Pharma » sur nos sociétés dans le cadre de l’épidémie actuelle... En pensant à J.R.R. Tolkien, les paroles de Sam Gamgee reviennent : « Si le vieux nous voyait en ce moment, m’est avis qu’il aurait deux ou trois choses à nous dire » …
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