Économie

Le scandale trop méconnu des fonds en déshérence 

Par Louis Daufresne - Publié le 23/05/2024 - Crédits photo : Shutterstock
Une enquête du magazine Que Choisir Argent s'intéresse aux fonds dits « en déshérence ». Banques et compagnies d'assurance renâclent toujours à verser des milliards aux bénéficiaires des contrats qu'elles font fructifier ; malgré la loi qui les y contraint et les efforts qu'elles ont déjà fournis.

Il s'appelle François-Xavier du Besset. Il est l'auteur d'un documentaire sur les prières de guérison à l'église Saint-Nicolas-des-Champs (Paris IIIe), où des centaines de personnes se rassemblent chaque jeudi, espérant un miracle pour elles ou leurs proches. Des vies, semble-t-il, basculent. Faudra-t-il en passer par-là pour faire pleuvoir les milliards dans la poche de ceux qui attendent la pluie bienfaisante d'un placement dont ils sont les bénéficiaires ou les héritiers ? François-Xavier du Besset, ancien enquêteur de droit privé devenu journaliste, connaît bien le sujet pour avoir recherché des bénéficiaires qui s'ignoraient.

Une lettre sépare avoir et savoir. Ici, c'est la même chose. Le scandale tient à la fois de l'ignorance des bénéficiaires ou ayants droit et de la mauvaise volonté des organismes gestionnaires qui ont intérêt à garder ce magot pour eux. TF1 a mis en lumière ce scandale dans une enquête diffusée au JT du 18 juin 2009. Véronique et ses frères auraient dû hériter de leur vieille tante fortunée sans enfant mais quatre ans après son décès, ils attendent toujours que les compagnies se manifestent. Ils savent seulement qu'ils sont bénéficiaires de huit contrats d'assurance-vie. Combien d'autres bénéficiaires, ne sachant rien, ne réclament pas leur dû ? Pourtant, la loi du 17 décembre 2007 enjoint les assureurs à se bouger. TF1 s'étonne que seulement 8 compagnies sur 150 aient entrepris des démarches auprès de cabinets de généalogistes ou d'enquêteurs privés. On chiffre alors à 150 000 le nombre de contrats tombés en déshérence pour un pactole évalué par le gouvernement entre 1 et 2 milliards d'euros, alors que Bernard Spitz, président de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), parle de 700 millions, ce que François-Xavier du Besset juge « ridiculement bas ». Pour les professionnels de l'enquête et de la généalogie, le magot peut atteindre 5 milliards d'euros.

À l'époque, le scandale trouvait notamment son origine dans la rédaction même de la clause bénéficiaire puisque les contrats n'exigeaient même pas d'indiquer l'état civil complet de la personne à laquelle le souscripteur en destinait les fonds. Sur cette lacune (dont on peut penser qu'elle était volontaire), l'enquête de TF1 épingle Jean-François Lequoy, délégué général de la FFSA. Une séquence sans caméra cachée.

Quelques années plus tard, Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget sous les gouvernements Valls et Cazeneuve, renforce le dispositif avec la loi du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance-vie en déshérence. Le texte entre en vigueur en 2016. Mais, observe Que Choisir, « huit ans après (…) les sommes qui patientent dans les coffres des compagnies d'assurance, banques, organismes de prévoyance et de la Caisse des Dépôts restent colossales. En ce début 2 024, elles atteignent plusieurs dizaines de milliards d'euros, soit autant, voire plus, que les sommes déjà reversées aux bénéficiaires depuis 2014 » !

Cette année-là, l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), gendarme du secteur, sanctionne la passivité de quatre gros assureurs. Entre 2014 et 2018, près de 30 milliards d'euros sont restitués ! Mais le sujet est loin d'être clos. Si les organismes gestionnaires sont tenus de publier des bilans périodiques de leur recherche, « on recense chaque année des milliers de nouveaux contrats d'assurance-vie en déshérence », souligne Que Choisir. La Cour des comptes notait en 2 019 que : « leur diminution est freinée par les flux entrants dynamiques et l'obligation de conserver les contrats pendant dix ans. »

De quels moyens dispose-t-on pour récupérer des avoirs en sommeil ? Depuis 2016, les notaires sont chargés, pour le compte des héritiers, de consulter les deux fichiers pour les assurances-vie et les comptes bancaires, respectivement Ficovie et Ficoba, mis à leur disposition par l'administration fiscale. Ensuite, Que Choisir recense trois outils : Ciclade, le site de la Caisse des dépôts, Agira, la plateforme des assureurs, et l'onglet « épargne » du site info-retraite.fr.

Mais le web n'est pas la parade : par exemple, sur Ciclade, les recherches s'effectuent à partir de l'état civil du souscripteur. « Comment des associations, qui ne connaissent pas l'identité de leurs donateurs, pourraient-elles s'y enquérir d'avoirs dont elles ignorent jusqu'à l'existence ? », relève Que Choisir.

Autre point capital : l'assurance-vie n'est pas le seul support concerné. Que Choisir ajoute « les Livret A ouverts par des grands-parents, le contrat retraite d'entreprise, le plan d'épargne logement non répertorié dans une succession ». Même les coffres physiques dans les banques peuvent constituer aussi des situations de déshérence. Quoi qu'il en soit, tout bénéficiaire doit agir vite : au bout de dix ans d'inactivité, tout compte atterrit à la Caisse des dépôts et après vingt ans sans signalement, l'État l'acquiert définitivement.

La sélection
Le magot de l'assurance-vie
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