Rousseau, Zemmour : born in the USA
Politique

Rousseau, Zemmour : born in the USA

Par Louis Daufresne - Publié le 21/09/2021
Si on sortait un périscope au milieu de l’Atlantique, on y verrait une frégate La Fayette en plein naufrage, torpillée par la crise des sous-marins australiens. Fidèles à leur perfidie, les Anglo-saxons réussirent la prouesse de garder secret le revirement de Canberra. Pas même la Chine ne sentit le coup venir. Cette maîtrise de l’information est le signe le plus éclatant de l’hyperpuissance US. Le camouflet du 15 septembre n’en sera que plus humiliant pour les Pinot simple flic du renseignement.

Jean-Yves Le Drian parle d’un « coup dans le dos ». L’expression renvoie au mythe de la trahison, la fameuse Dolchstoßlegende de 1918. « Il y a eu mensonge, (…), il y a eu rupture majeure de confiance, il y a eu mépris, donc ça ne va pas entre nous », déplora le chef de la diplomatie. Pour son alter ego, Bruno Le Maire, l'UE ne peut « plus compter » sur les États-Unis pour garantir sa protection. Et le patron de Bercy d’appeler les Européens à « ouvrir les yeux ».

Ouvrons-les justement et attendons de voir ce que la France va faire. On ne parle pas de la facture que Naval Group va présenter à l’Australie mais de la réponse politique et souveraine. Il ne suffit pas d’annuler une soirée de gala à Washington et de rappeler des ambassadeurs. Si le manque à gagner s’élève à 55 milliards, Paris va-t-il prendre des sanctions d’un montant équivalent ? « Si l’OTAN est en état de mort cérébrale », comme le dit Emmanuel Macron en novembre 2019 dans la crise turque, Paris va-t-il y réviser sa position ? Et tant pis pour les carrières de nos hauts gradés ; même un Général, en 1966, ne s’en soucia guère.

Soyons lucide : il n’y aura pas de réponse française. Tout juste des pleurnicheries. L’une des raisons tient à la pénétration des mœurs américaines. Ni l’humeur gauloise ni l’orgueil gaullien ne fournissent de préservatif à cette fécondation culturelle, même si le Français passe pour plus rebelle que ses voisins. Pointons deux caractères antagonistes mais révélateurs de cette tendance :

Sandrine Rousseau et Éric Zemmour. Ils sont le recto-verso de la même pièce de théâtre. Tous deux sont born in the USA. Rousseau incarne la wokisation ; Zemmour la sionisation.

La wokisation fait référence à « l’idéologie woke » qui, selon le politologue Pascal Perrineau, « rompt totalement avec la manière dont les Français, et les Français de gauche, avaient l'habitude de faire société, autour de l'universalisme républicain ». La mémoire vive de Sciences-Po s’inquiète de « l'importation [du wokisme] que l'on voit dans certains milieux en France, depuis plusieurs mois ».

En fait, les écolos sont travaillés par l’extrémisme depuis que Dominique Voynet, la « mangeuse d’hommes », évinça Antoine Waechter (1993). Sandrine Rousseau, révélation de la primaire, va-t-elle croquer Yannick Jadot ? Quoiqu’il advienne, l'événement, c'est elle. « La radicalité fait gagner », estime l’économiste, vice-présidente de l’université de Lille. Au passage, Rousseau s’assoit sur le vieux principe républicain de neutralité du service public sans que nulle hiérarchie n’y trouve à redire.

La sionisation promeut l’idée d’un destin commun entre l’Occident et l’État d’Israël, comme si le second était la tête de pont du premier et que le premier devait apporter un appui inconditionnel au second. Jérusalem serait-il au Proche-Orient musulman ce que fut Berlin-Ouest au bloc soviétique ? Les attentats récurrents nous feraient-ils tous monter à bord de la même arche de Noé sécuritaire ? Le journaliste du Figaro Ivan Rioufol défend cette thèse depuis longtemps, ce qui fait peu de cas du non-alignement que représentait la « politique arabe de la France ». Á travers le gaullisme, la droite se référa longtemps à une vision équilibrée, y compris Jacques Chirac lorsque, près du Saint-Sépulcre, il se fit le porte-voix de la frustration palestinienne avec son fameux « you want me to take my plane ? » (1996).

Avec le temps, cette ligne s’estompe au profit d’une vision hardcore que véhicula le trumpisme, mixé à l’évangélisme et au sionisme américains. La gauche vomissant Trump, la droite dont Zemmour est la révélation se laissa porter par ce courant d'outre-Atlantique. Le journaliste voit d'un bon œil qu'Israël se fasse respecter. C'est son point de jonction avec le souverainisme tricolore : l'autorité de l'État-nation. Mais ce principe n'est pas intangible. Privé d'une substance universelle, le souverainisme fournit à quelques-uns les moyens de dominer les autres.

Pourquoi la wokisation et la sionisation sont-elles problématiques ? Parce qu’elles racialisent et radicalisent la société, font de l’identitaire et du communautaire l’alpha et l’oméga du lien entre les hommes. Rousseau et Zemmour seront-ils de nouveaux centres de gravité idéologiques ? Ils charrient des conflits, des histoires et des langages qui portent le sceau d'une autre culture. Quoiqu’elles puissent dire de juste ou d'absurde, ces figures sont celles d'une radicalité importée des États-Unis. Cela rend plus difficile l'exercice de notre liberté à l'égard d'un maître qui ne nous ménage pas.
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Pascal Perrineau : "Sandrine Rousseau est révélatrice de l'importation du wokisme en France"
L'Express
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