Culture
Reste un peu avec Gad Elmalaise
Tous les chemins, dit-on, mènent à Rome, alors pourquoi pas le Sentier ? Celui que trace Gad Elmaleh, juif séfarade, a de quoi intriguer. Tout comme son film Reste un peu, en salle depuis le 16 novembre. Ceux qui s'attendent à voir La Vérité si je mens (1997) en seront pour leurs shekels. Vingt ans après son exubérant Coco, le comique pond un film jugé par la critique « inattendu », « à la lisière du documentaire introspectif et de la comédie douce-amère », écrit Jean-François Guyot de l'AFP.
Plus amère que douce, à la vérité. De plus, amère et mère, ça rime. La sienne tient symboliquement la première place. Et son rôle ne rime pas avec drôle. À aucun moment, les mœurs orientales de ce milieu marocain ne provoquent d'éclats de rire, comme dans la parodie burlesque et grivoise de Thomas Gilou. Gad Elmaleh n'est pas Richard Anconina.
Si Reste un peu se balade dans les rues de Casablanca, l'humoriste y délaisse la carte postale, pour dire dès le début qu'il n'avait pas le droit d'entrer dans une église quand il était enfant. Ses parents le lui interdisaient et il en allait de même pour tous ses copains, juifs et musulmans. Lui, avec sa sœur, prirent le risque de le faire. Il avait 6 ans et resta marqué à vie par sa vision d'une statue de la Vierge. Sans cette expérience, ce film n'aurait pas existé. Mais près d'un demi-siècle plus tard, l'injonction familiale demeure et plombe le soleil méditerranéen qui aurait pu illuminer son histoire.
Un juif séfarade peut-il aller vers le catholicisme ? Ce film ne raconte pas une conversion, comme le notèrent un peu vite des media emportés par leur élan de sympathie envers un Gad Elmaleh touchant et vrai. Le réalisateur le dit à l'AFP : « Mon film n'est pas un plaidoyer pour le catholicisme ou une conversion quelle qu'elle soit. »
Reste un peu raconte plutôt l'impossibilité de se convertir. Le verbe rester n'est pas anodin et le un peu est une litote. L'humoriste poursuit : « J'y raconte les conséquences de ma curiosité d'enfant à qui on interdisait d'entrer dans une église. Interdire d'aller vers les autres, je ne comprends pas... »
Et c'est pourtant vrai car – et c'est la force du film – Gad Elmaleh joue son propre rôle, tout comme ses parents et plusieurs religieux dont un prêtre, une religieuse mais aussi la femme rabbin Delphine Horvilleur. Il s'agit de vrais personnages et non d'acteurs. Ce point est capital : tout ce qu'ils disent, ils le pensent vraiment. Gad Elmaleh, sans le savoir ni le vouloir, prend les siens à leurs propres mots, au sens strict du terme, ses parents n'ayant pas appris leurs répliques. Il les filma tels quels, ce qui rendit le montage long et compliqué puisque le film devait s'adapter à leur jeu qui n'en était pas un.
Ce faisant, Reste un peu prend le public à témoin. Gad Elmaleh ne sortira de son milieu qu'au prix d'un arrachement. Et les siens l’assimileront à du reniement, même si lui continue à se dire juif, comme Mgr Jean-Marie Lustiger qu'il prend pour modèle. Toute conversion est-elle synonyme de cataclysme familial, quelle que soit la religion ? Le film n'aborde pas cette question.
Reste un peu montre déjà que la foi habite un quartier sensible, et au cinéma, personne n'ose plus y entrer sérieusement, c'est-à-dire sous l'angle de l'intimité. Il n'y a que des coups à prendre. Gad Elmaleh a le mérite de s'attaquer à l'impensé de Dieu – qu'on manipule, défigure mais qu'on n'interroge plus. Sa crise de foi se heurte à un chantage affectif. Exemple raconté dans Écran Large : « Il regarde une messe (...), seul dans son ancienne chambre d'ado. Sa mère fait irruption, il claque d'un coup son ordinateur. Le quiproquo est évident, mais impossible de dire la vérité, le tourment de la foi est un tabou plus implacable encore que celui du porno. »
Lui qui va déjà chez les moines de Sénanque, prend des cours de théologie aux Bernardins, prépare un documentaire sur Charles de Foucauld, ne peut pas dire à ses parents un seul mot profond de l'introspection qu'il entreprend. Son entourage ne semble pas se poser de questions – et ne lui en pose aucune – sur l'au-delà, les fins dernières, le salut, etc. Vu ainsi, Reste un peu suscite un certain malaise et, par moments, le sourire de Gad Elmaleh se teinte d'incompréhension.
Est-on alors dans le comique ou le tragique ? L'homme joue sur les deux registres : « C'est une approche très juive d'interroger sa propre identité et d'utiliser des ressorts comiques, en se moquant gentiment de parents superstitieux qui ont peur de la Vierge Marie ! » Oui, il y a la peur de la Vierge Marie, bien qu'elle soit juive. Dommage qu'on ne sache jamais d'où vient cette peur.
Reste un peu montre que des identités, quand elles soudent culture et religion, protègent autant qu'elles enferment. La transition a beau être un mot à la mode lorsqu'elle est énergétique, écologique et même sexuelle, celle-ci n'est plus concevable dans l'ordre spirituel.
Modernité et mobilité ne riment pas pour tout le monde. Ce film, s'il devient culte, fera peut-être évoluer les choses.
Plus amère que douce, à la vérité. De plus, amère et mère, ça rime. La sienne tient symboliquement la première place. Et son rôle ne rime pas avec drôle. À aucun moment, les mœurs orientales de ce milieu marocain ne provoquent d'éclats de rire, comme dans la parodie burlesque et grivoise de Thomas Gilou. Gad Elmaleh n'est pas Richard Anconina.
Si Reste un peu se balade dans les rues de Casablanca, l'humoriste y délaisse la carte postale, pour dire dès le début qu'il n'avait pas le droit d'entrer dans une église quand il était enfant. Ses parents le lui interdisaient et il en allait de même pour tous ses copains, juifs et musulmans. Lui, avec sa sœur, prirent le risque de le faire. Il avait 6 ans et resta marqué à vie par sa vision d'une statue de la Vierge. Sans cette expérience, ce film n'aurait pas existé. Mais près d'un demi-siècle plus tard, l'injonction familiale demeure et plombe le soleil méditerranéen qui aurait pu illuminer son histoire.
Un juif séfarade peut-il aller vers le catholicisme ? Ce film ne raconte pas une conversion, comme le notèrent un peu vite des media emportés par leur élan de sympathie envers un Gad Elmaleh touchant et vrai. Le réalisateur le dit à l'AFP : « Mon film n'est pas un plaidoyer pour le catholicisme ou une conversion quelle qu'elle soit. »
Reste un peu raconte plutôt l'impossibilité de se convertir. Le verbe rester n'est pas anodin et le un peu est une litote. L'humoriste poursuit : « J'y raconte les conséquences de ma curiosité d'enfant à qui on interdisait d'entrer dans une église. Interdire d'aller vers les autres, je ne comprends pas... »
Et c'est pourtant vrai car – et c'est la force du film – Gad Elmaleh joue son propre rôle, tout comme ses parents et plusieurs religieux dont un prêtre, une religieuse mais aussi la femme rabbin Delphine Horvilleur. Il s'agit de vrais personnages et non d'acteurs. Ce point est capital : tout ce qu'ils disent, ils le pensent vraiment. Gad Elmaleh, sans le savoir ni le vouloir, prend les siens à leurs propres mots, au sens strict du terme, ses parents n'ayant pas appris leurs répliques. Il les filma tels quels, ce qui rendit le montage long et compliqué puisque le film devait s'adapter à leur jeu qui n'en était pas un.
Ce faisant, Reste un peu prend le public à témoin. Gad Elmaleh ne sortira de son milieu qu'au prix d'un arrachement. Et les siens l’assimileront à du reniement, même si lui continue à se dire juif, comme Mgr Jean-Marie Lustiger qu'il prend pour modèle. Toute conversion est-elle synonyme de cataclysme familial, quelle que soit la religion ? Le film n'aborde pas cette question.
Reste un peu montre déjà que la foi habite un quartier sensible, et au cinéma, personne n'ose plus y entrer sérieusement, c'est-à-dire sous l'angle de l'intimité. Il n'y a que des coups à prendre. Gad Elmaleh a le mérite de s'attaquer à l'impensé de Dieu – qu'on manipule, défigure mais qu'on n'interroge plus. Sa crise de foi se heurte à un chantage affectif. Exemple raconté dans Écran Large : « Il regarde une messe (...), seul dans son ancienne chambre d'ado. Sa mère fait irruption, il claque d'un coup son ordinateur. Le quiproquo est évident, mais impossible de dire la vérité, le tourment de la foi est un tabou plus implacable encore que celui du porno. »
Lui qui va déjà chez les moines de Sénanque, prend des cours de théologie aux Bernardins, prépare un documentaire sur Charles de Foucauld, ne peut pas dire à ses parents un seul mot profond de l'introspection qu'il entreprend. Son entourage ne semble pas se poser de questions – et ne lui en pose aucune – sur l'au-delà, les fins dernières, le salut, etc. Vu ainsi, Reste un peu suscite un certain malaise et, par moments, le sourire de Gad Elmaleh se teinte d'incompréhension.
Est-on alors dans le comique ou le tragique ? L'homme joue sur les deux registres : « C'est une approche très juive d'interroger sa propre identité et d'utiliser des ressorts comiques, en se moquant gentiment de parents superstitieux qui ont peur de la Vierge Marie ! » Oui, il y a la peur de la Vierge Marie, bien qu'elle soit juive. Dommage qu'on ne sache jamais d'où vient cette peur.
Reste un peu montre que des identités, quand elles soudent culture et religion, protègent autant qu'elles enferment. La transition a beau être un mot à la mode lorsqu'elle est énergétique, écologique et même sexuelle, celle-ci n'est plus concevable dans l'ordre spirituel.
Modernité et mobilité ne riment pas pour tout le monde. Ce film, s'il devient culte, fera peut-être évoluer les choses.