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Référendum en Irlande : le peuple irlandais rejette le progressisme de ses élites

Par Ludovic Lavaucelle - Publié le 23/03/2024 - Photo : manifestants en faveur du « Non » le 3 février. (Shutterstock)

Cela devait passer « comme une lettre à la poste »… Le Premier Ministre irlandais, Leo Varadkar a dû admettre lapidairement que « le gouvernement s'était trompé ». Le référendum du 8 mars dernier proposait une révision de la Constitution, jugée par les élites libérales comme « arriérée et sexiste ». Pour engager la République d'Irlande sur la voie d'une véritable libération – promesse de lendemains enchantés – il fallait débarrasser le pays des traces sexistes qui entachaient sa Constitution. D'abord, redéfinir la famille – toujours liée au mariage. Pour briser ces chaînes insupportables, le gouvernement proposait d'élargir la famille à « toutes autres relations durables » Presque 68 % des votants ont répondu « Non ». La seconde proposition était de faire disparaître le terme de « mère » pour le remplacer par une référence vague à la « personne en charge ». 74 % des votants ont là aussi rejeté l'amendement proposé. Et la participation de 44 % des électeurs était plutôt élevée par rapport aux moyennes irlandaises !

Tout avait été fait pour que le référendum se transforme en triomphe libéral. Organisé très rapidement, donc sans donner d'espace aux débats civiques et philosophiques, il a eu lieu le jour même de la « Journée internationale des femmes ». Tous les grands partis du pays, de la coalition gouvernementale comme de l'opposition, soutenaient le projet que portaient aussi les riches ONG internationalistes et que recommandait la Commission des Droits de l'Homme irlandaise. Les sondages prédisaient une victoire facile, dans la lignée de l'acception du mariage homosexuel (2015) et de la légalisation de l'avortement (2018). Les élites de Dublin semblaient sonnées par le choc le soir de 8 mars et ont fait apparaître leur amertume, voire leur profond mépris pour les Irlandais. Une sénatrice du Fine Gael (gouvernement) a eu recours à l'habituel « Nous n'avons pas été suffisamment clairs »… La responsable du Sinn Féin (opposition), Mary Lou McDonald a carrément déclaré « Si nous sommes élus, nous reviendrons sur le langage sexiste de la Constitution  ». D'autres membres du gouvernement se sont contentés d'assurer que cette anomalie électorale ne remettrait pas en cause la « marche vers l'égalité ».

Les Irlandais avaient parfaitement compris de quoi il retournait selon Theo McDonald qui s'indigne pour UnHerd (voir l'article en lien). Les promoteurs du « Oui » étaient au contraire très confus sur les conséquences d'une telle réforme. Des ministres ont été incapables d'exclure publiquement que la polygamie serait associée aux « relations durables ». L'un d'entre eux a même admis qu'un arrangement bigame pouvait être une « relation durable acceptable ». Aveuglé par les sondages et la forte progression du « progressisme » dans la société irlandaise, le gouvernement comptait sur un « Oui » massif pour lancer le calendrier électoral de 2024 (élections européennes puis locales) sous les meilleurs auspices. La claque est sévère pour les élites dublinoises. À part les riches quartiers « bobos » du sud de la capitale, le reste du pays a massivement voté « Non ». Le comté de Donegal – à la pointe nord-ouest de l'île – a rejeté la nouvelle définition de la famille à 80 % et l'abolition du statut de la « mère » à 83 %... Loin d'être un vote facile, ce référendum a révélé les profondes fractures du pays et une réaction face à l'ultra-libéralisme du pouvoir irlandais.

L'estrade et les préparatifs festifs ont été discrètement démontés. Les abords du Dublin Castle sont restés silencieux, contrairement aux scènes de jubilation lors des votes de 2015 (mariage homosexuel) et de 2018 (légalisation de l'avortement). Il faut dire que la police avait – cette fois – interdit l'entrée sauf aux touristes. Il y a donc des résultats démocratiques qui méritent des festivités, d'autres non… Concernant l'effacement de la référence à la « mère » dans la Constitution, le passage jugé « sexiste » par les partisans du « Oui » précise qu'une « mère ne doit pas être forcée par la nécessité économique à quitter son foyer pour travailler ». Car « l'État reconnaît que par son rôle au foyer, la femme apporte un soutien à l'État sans lequel le bien commun ne peut être atteint ». C'est là en effet insupportable pour les libéraux : nul ne doit faire obstacle à la domination de l'économie sur la société, surtout pas la maternité. Qui est pour les plus « éveillés » des progressistes une tare de la nature…

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Le référendum irlandais est un rejet du libéralisme de Dublin
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2 commentaires
Joelle
Le 07/06/2024 à 03:10
Ludovic Lavaucelle a certainement une interpretation assez bizarre des causes du rejet de cette reforme de la constitution irlandaise. Il aurait sans doute du rechercher son sujet un peu mieux, plutot que d'emettre des conclusions hatives et franchement simplistes qui ne font que trahir ses propres prejudices et la superficialite de ses pensees. Il semble aussi confus dans sa presentation quant a la nature d'un ultra-liberalisme permissif irlandais (soi-disant associe aux riches "bobos" et au vote "oui") qui serait en opposition a des valeurs traditionnelles (soi-disant associees au vote "non"). Ayant passe 45 ans en Irlande, je me permets d'apporter certaines clarifications: Que l'ideologie economique du gouvernement irlandais soit ultra-liberale n'est pas conteste - le resultat, entre autres, d'etre une ile en bordure de l'Europe qui depend totalement des imports et exports et des investissements internationaux. Cet ultra-liberalisme n'a rien a voir avec les opinions socialement progressives, ou non, de la population, riche ou pas, "bobo" ou pas. Ceci est une misconception profonde de l'Irlande, probablement plus une reflection de la facon dont la societe et la pensee francaises sont structurees. Les valeurs tres catholiques et donc hyper traditionnelles de l'Irlande, qui avaient ete transcrites dans la constitution en 1937, ont enormement changees ces 30 dernieres annees, pour etre remplacees par une vue progressive de la societe - d'ou les votes relativement recents pour le divorce, l'avortement et les mariages mixtes. Elles ne sont certainement pas la raison du vote "non" a la proposition d'eliminer des mentions maintenant perimees de la constitution. Le probleme etait bien que les termes mis en avant par le gouvernement pour remplacer ces mentions desuettes dans la constitution etaient beaucoup trop vagues. Pourquoi ne pas etre plus precis pour effectuer un changement historique qui aura d'enormes ramifications au niveau legal? Et bien, surtout parce que le gouvernement n'est ni particulierement rigoureux intellectuellement ni organise ou methodique. Apres tout, ce sont des adeptes du "laissez-faire". On proposait d'etendre la definition de "Famille", basee sur le mariage et affirmee comme un des piliers de l'Etat, aux autres formes de "relations durables". Qu'est-ce que cela veut dire? Quelques mois, 5 ans, 10 ans? En tout cas, contrairement a ce que semble suggerer Ludovic, ceci n'a rien a voir avec qui sont les membres de ces relations. On proposait aussi d'amender les mentions de la contribution speciale de la femme au foyer a l'Etat, et du fait que les meres ne doivent pas etre obligees par leurs circonstances economiques a aller travailler, ce-negligeant leurs devoirs au foyer (oui, c'est dans la constitution!), pour remplacer cela par une affirmation que les membres d'une famille prennent soin les uns des autres, et contribuent ainsi au bien commun. Les "nons" donc fait remarquer que, a part de ne pas vouloir dire grand chose, cela pouvait ouvrir la porte pour que l'Etat ne procure aucune aide aux familles dont un membre aurait besoin de soins et soutien pour des raisons de sante, aide qui est deja tres deficiente en Irlande. Donc, une "réaction face à l'ultra-libéralisme du pouvoir irlandais"? Non, cette interpretation est peut-etre tres francaise, mais completement a cote de la plaque! Les Irlandais veulent bien changer les elements sexistes de la constitution, mais seulement si c'est fait intelligemment. C'est comme quand l'instituteur ecrit "pourrait faire mieux". C'est aussi ce que je dis a l'auteur de cet article s'il reve de devenir un journaliste.
Jean-Marie
Le 25/03/2024 à 16:39
La décadence est en route dans l'Union Européenne. D'ailleurs le fait de ne pas comprendre que la situation de guerre en Ukraine menace l'Europe dans sa totalité est une autre preuve cette trouille décadente.
Marie
Le 25/03/2024 à 13:23
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