Qui gagnera le bras de fer actuel en Iran ?
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Qui gagnera le bras de fer actuel en Iran ?

Par Peter Bannister - Publié le 09/12/2022 - Image : Ebrahim Raïssi à l'Université de Téhéran AFP PHOTO / HO / IRANIAN PRESIDENCY
Le régime en Iran serait-il sur le point de fléchir devant la pression des manifestations qui se sont répandues dans tout le pays depuis le mois de septembre, ou cherche-t-il plutôt à gagner le bras de fer actuel par tous les moyens ? Retour sur quelques jours très mouvementés où les enjeux pour les deux côtés sont devenus de plus en plus sérieux, le gouvernement de Téhéran jouant sa survie politique, les manifestants leur vie tout court.

Samedi 3 décembre, le procureur général iranien Mohammad Jafar Montazeri avait donné de l’espoir à certains commentateurs occidentaux en annonçant à l'agence de presse Isna que la police des mœurs, accusée d'être responsable de la mort en détention de la jeune kurde Mahsa Amini le 16 septembre, avait été abolie. Annonce pourtant traitée avec grand scepticisme dans les cercles liés à l'opposition iranienne, pour plusieurs raisons. On a souligné que la police des mœurs, créée en 2005 par le président conservateur Mahmoud Ahmadinejad afin de « répandre la culture de la décence et du hijab », ne dépend pas du procureur mais du ministre de l’intérieur, qui n’a rien confirmé par rapport à sa suppression. Par ailleurs, même son démantèlement éventuel serait sans signification tant que le port obligatoire du voile reste en place. Les opposants ont également remarqué que le régime ne montre aucun signe réel de souplesse, prononçant au contraire de multiples condamnations à mort contre des manifestants. La première exécution par pendaison de Mohsen Shekari, 23 ans, « ennemi de Dieu » pour avoir blessé un paramilitaire et bloqué la voie publique, a eu lieu jeudi : Amnesty International estime qu'au moins 27 autres personnes, dont 3 mineurs, pourraient connaître le même sort.

Voyant ce recours à la brutalité, évoquant le spectre des exécutions de masse du passé (encore selon Amnesty, 4500 personnes auraient été mises à mort pendant l'été 1988), il semble évident que le conflit en Iran entre le gouvernement et les manifestants est entré dans une nouvelle phase qui dépasse largement la question du voile. Lors des trois journées de grève en Iran cette semaine, il a été clair que les protestations visent désormais le changement de tout le système politique actuel. Ces trois journées ont culminé le 7 décembre, « journée de l’étudiant », jour traditionnel de contestation commémorant la mort de trois étudiants en 1953, tués par les forces du Shah lors de la visite du vice-président américain Nixon à Téhéran. Tous les observateurs soulignent le poids croissant des étudiants dans la société iranienne (5 millions sur une population de 89 millions), et il semble que le régime aurait fait des universités un lieu stratégique pour ses communications publiques, avec des résultats pourtant mitigés. Dans son traditionnel discours du 7 décembre à l’université de Téhéran, le Président Ebrahim Raïssi a essayé devant un public trié sur le volet de donner l’image d’un gouvernement en contrôle de la situation, insistant sur la nécessité des restrictions d’internet face à l’ingérence supposée d'agents étrangers. Cependant, le maire de Téhéran Alireza Zakani avait été conspué la veille par des étudiants à l’Université Sharif qui ont critiqué la corruption ainsi que le soutien de l’Iran pour les Taliban et le Hezbollah. Quant au niveau d'enthousiasme populaire pour les mouvements de grève dans le pays, notamment dans les commerces, il est très difficile d’avoir des informations fiables, les médias internationaux n’ayant qu’un accès très limité aux événements sur le terrain.

Si pour l’instant le Guide Suprême Ali Khamenei et le Président Raissi paraissent vouloir durcir le ton, il est frappant de voir que certaines figures majeures iraniennes ont néanmoins pris la parole pour soutenir les manifestants. Mohammad Khatami, président réformateur de l’Iran entre 1997 et 2005, a parlé du « beau message » des protestataires, signe d’une « progression vers un avenir meilleur », disant que « la liberté ne doit pas être bafouée pour maintenir la sécurité ». Des critiques bien plus acerbes sont par contre venues de la famille d’Ali Khamenei lui-même : sa nièce Farideh Moradkhani, arrétée il y a quelques jours pour des raisons encore inexpliquées, a décrit le régime dans une vidéo comme « assassin et infanticide », comparant son oncle à Hitler et Mussolini. Ensuite, sa mère Badri Hosseini Khamenei a rendu publique le 7 décembre une lettre dans laquelle elle s’oppose également aux actions de son frère :

« J’exprime ma sympathie envers les mères qui pleurent les crimes commis par le régime de la République islamique depuis l’époque […] Khomeiny jusqu'à la période actuelle du califat despotique d’Ali Khamenei. »

Est-ce qu'il faut voir dans ces propos surprenants de la famille du Guide Suprême ainsi que d'autres membres de l'« Aghazadeh », enfants de l'élite politique historique de l'Iran, un signal que les opposants auraient commencé à croire que les jours du régime actuel sont comptés ? On aura des réponses dans les semaines et mois à venir, qui s'annoncent déterminants pour l'avenir du pays.
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Qui gagnera le bras de fer actuel en Iran ?
Fin de la police des mœurs en Iran : vers une victoire de la rue ?
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