Histoire

Panthéon : le dernier secret de Missak Manouchian

Par Judikael Hirel - Publié le 22/06/2023 - Illustration : "l'Affiche rouge" éditée et affichée par les nazis en 1944.

Les Manouchian vont faire leur entrée au Panthéon. L'hommage aux étrangers de la Résistance ayant combattu pour la France est bien tardif. Entre 1941 et 1944, les groupes Francs tireurs et partisans main d'œuvre immigrée (FTP MOI) ont participé à la lutte armée contre l'occupant nazi. Mais en novembre 1943, 200 membres de ces réseaux de résistance, formés de Juifs communistes originaires de Pologne, de Roumanie ou d'Arménie, sont arrêtés. Le 21 février 1944, après un procès expéditif, 23 seront fusillés. Des exécutions qui donneront l'idée aux Nazis de placarder partout celle que l'histoire surnommera «      L'Affiche rouge      ». Une affiche qui motivera la résistance bien plus qu'elle ne la découragera. Une affiche qu'Aragon et Ferré immortaliseront également.

Tant d'années après, ce qui reste du Parti Communiste devrait se réjouir de voir enfin Mélinée Manouchian et son mari Missak faire ainsi leur entrée au Panthéon. Pourtant, il n'est pas sûr qu'il soit si heureux de cette double panthéonisation. Cela pourrait bien raviver, au passage, le côté obscur du parti que Maurice Thorez, réfugié à Moscou dès 1939, surnommera à son retour à Paris en novembre 1944 le «        parti des 75 000 fusillés      ». Dès le 20 juin 1940, les communistes français entamèrent en effet les négociations de collaboration avec les nouvelles autorités d'occupation. «      Il est réconfortant, en ces temps de malheur, de voir de nombreux travailleurs parisiens s'entretenir amicalement avec les soldats allemands. Bravo camarades, continuez, même si cela ne plaît pas à certains bourgeois aussi stupides que malfaisants      », écrivait alors la presse communiste. Il aura fallu attendre l'opération Barbarossa, en juin 1941, pour voir rompu le pacte germano-soviétique.

L'histoire est toujours écrite par les vainqueurs, et le puissant PC saura imposer sa voix au lendemain de la Libération. Et même bien plus tard, en fait : en 1985, il pèsera de tout son poids pour empêcher la diffusion du documentaire de Mosco Levi Boucault, «      Des terroristes à la retraite      », donnant la parole à des témoins directs, dont Mélinée Manouchian. Avec succès : il sera interdit de visa pendant deux ans. Le PDG d'Antenne 2, Jean-Claude Héberlé, s'opposera à sa diffusion télévisée. Il saisira la Haute Autorité, qui réunira à un jury d'honneur composé d'anciens résistants, dont Lucie et Raymond Aubrac, qui en interdira la diffusion programmée pour le 2 juin 1985. Pierre Desgraupes, son prédécesseur, l'avait prévenu : «      Il y a un film dans le coffre. Une bombe à retardement. Je te conseille de ne pas y toucher.      » Il faudra notamment que Simone Signoret, narratrice de ce film, dénonce cette censure pour que ce documentaire sorte enfin du coffre-fort. Le film sera finalement diffusé en juin 1985 dans les Dossiers de l'écran. Scandale aidant, il attirera 13 millions de spectateurs. Un record.

Mais pourquoi une telle censure en 1985 ? Mélinée Manouchian réaffirmait dans ce film sa conviction que son mari, Missak Manouchian, avait été sacrifié avec ses hommes par le commissaire politique communiste des FTP MOI, Boris Holban. «      Il fallait qu'il en reste pour combattre. Oui, dans chaque guerre, il y a des sacrifiés.      », reconnaissait notamment Louis Grojnowski, responsable de 1942 à 1945 de la Main-d'œuvre immigrée. Malgré le danger, l'ordre donné à Manouchian de continuer son action serait directement venu des Soviétiques. Impossible peut-être, pour le PCF, d'admettre publiquement l'existence d'une double direction, la main-mise absolue de Moscou sur les communistes français. Mais ce «        pavé dans la mare de la résistance        » mettait, au fond, également en lumière les purges internes, les opérations de liquidation des anciens agents du Komintern menées par le PC dès 1944. En conclusion de ce documentaire historique, le publiciste Philippe Ganier-Raymond déclarait d'ailleurs : «      Que ces hommes qui viennent des profondeurs de l'Europe centrale puissent être mis en pleine lumière à la Libération, ce n'est à tous égards pas possible. Le parti communiste, à ce moment-là, a déjà mis sur pied sa ligne, une liste nationaliste, une liste cocardienne. Alors, vous comprenez, des noms comme Rol-Tanguy, Fabien, ça sonne bien, ça sent le terroir ! (...) Je n'irais pas jusqu'à dire, faute de preuves, que le parti communiste les a cyniquement livrés à la Gestapo. À mon avis, avec un grand cynisme, la direction des FTP a choisi leur sacrifice, a choisi de les abandonner.      »

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“Des terroristes à la retraite” : un pavé dans la mare de la Résistance
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