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Moyen-Orient : risques d'embrasement et plans pour l'après-guerre à Gaza

Par Peter Bannister - Publié le 13/01/2024 - Image : l'USS Carney face aux missiles Houthis, le 19 octobre 2023. Crédit photo : US Navy / Wikimedia Commons

En écoutant divers spécialistes francophones (Georges Malbrunot, Frédéric Encel, Antoine Basbous…), presque tous s'accordent à dire que pour l'instant le risque d'un grand embrasement dans le Moyen-Orient parait modéré, malgré des propos dramatiques venant de différents côtés (Israël, le leader du Hezbollah Hassan Nasrallah, Anthony Blinken pour les USA, Josep Borrell pour l'UE). La principale raison serait que le Hezbollah, seul groupe aux frontières d'Israël capable de poser de véritables problèmes à Tsahal, n'est pas favorable à une confrontation directe avec Israël qui pourrait s'avérer suicidaire. Le Hezbollah a certes augmenté ses frappes suite à l'élimination présumée par Israël du n°2 du Hamas Saleh al-Arouri dans les locaux du Hezbollah au Liban, déclarant que sa mort ne resterait pas « impunie  ». Mais il ne serait contraint de réagir très fortement que si Israël attaquait la banlieue sud de Beyrouth ou provoquait des morts parmi la population civile libanaise. En attendant, les deux côtés ne sont pas à l'abri d'un mauvais calcul tactique, et certains estiment qu'à long terme, Benjamin Netanyahou pourrait être tenté d'attaquer le Hezbollah pour assurer sa survie politique (très impopulaire en Israël et objet d'un procès pour corruption, seule la continuation de la guerre lui permettrait de rester au pouvoir).

En tant que « joyau » de « l'axe de la résistance » musulmane contre Israël, le Hezbollah dépend ultimement de l'Iran, maître de l'axe. Selon Antoine Basbous (fondateur de l'Observatoire des pays arabes), Téhéran essaie actuellement de saper patiemment l'état israélien et de réduire l'influence régionale des Américains à travers un « essaim de frelons », avec le Hezbollah mais aussi les rebelles Houthis au Yémen. Contrôlant une partie de la côte yéménite, armés par Téhéran et formés par le Hezbollah, les Houthis attaquent les navires internationaux dans la Mer Rouge depuis l'automne en soutien au Hamas. L'impact sur le commerce mondial est déjà considérable, les transporteurs choisissant souvent de contourner l'Afrique au lieu de se diriger vers le canal de Suez. On verra bien quelle sera la réaction iranienne suite au bombardement cette semaine des installations des Houthis au Yémen par les USA et la Grande Bretagne à la tête d'une coalition internationale. La confrontation militaire directe avec Israël ou les Occidentaux ne paraît pas dans les plans de l'Iran dans l'immédiat, mais une plus grande coordination des opérations de l'ensemble de ses proxy n'est pas à exclure.

Si les risques d'une grande escalade régionale sont pour le moment théoriques, il ne faudrait néanmoins pas sous-estimer les dangers pour Israël. Fortement critiqué, y compris par Anthony Blinken, pour les pertes civiles occasionnées à Gaza, son gouvernement risque l'isolement international. Israël doit en outre répondre devant la Cour Internationale de Justice à La Haye d'accusations de génocide de la part de l'Afrique du Sud, soutenue notamment par la Turquie. Tout en condamnant sans équivoque l'attaque du 7 octobre perpétrée par le Hamas, le gouvernement sud-africain accuse Israël d'avoir violé la Convention de 1948 sur le génocide, disant que ses actes ont visé ou permis la destruction d'une partie substantielle d'un groupe national, racial et ethnique (les gazaouis palestiniens, comparés aux victimes de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda). Liée à la cause palestinienne depuis l'époque de Nelson Mandela, l'Afrique du Sud a rompu ses relations diplomatiques avec Israël en novembre 2023. Si on s'attend à ce que les délibérations de la Cour durent longtemps, il est possible qu'elle puisse demander assez rapidement un cessez-le-feu à Gaza. Ses décisions sont contraignantes sur le plan légal, mais plutôt symboliques dans les faits puisque la Cour n'a aucun moyen de les imposer, comme on a vu avec son appel à Moscou à « suspendre immédiatement » l'invasion de l'Ukraine en mars 2022.

Vient ensuite le problème épineux de l'avenir de Gaza après la guerre. Le Ministre de la défense israélien Yoav Gallant a esquissé le 4 janvier son plan personnel pour le territoire, qui ne serait contrôlé ni par le Hamas, ni par une administration civile israélienne, mais par des structures palestiniennes sans lien avec le Hamas, soutenues par une coalition multinationale. La réception interne du plan de Gallant a plutôt été houleuse, notamment de la part de leaders de l'extrême droite Bezalel Smotrich (Ministre des finances) et Itamar Ben-Gvir (sécurité), qui prônent l'émigration « volontaire » des gazaouis et la recolonisation de Gaza (une politique israélienne abandonnée en 2005). Des propos fermement condamnés par l'UE et les USA mais qui reflètent un courant de l'opinion publique sans lequel Benjamin Netanyahou n'a pas pu gouverner suite aux élections de novembre 2022. Pour le premier ministre, les tensions à l'intérieur comme aux frontières d'Israël laissent augurer de graves difficultés dans les mois à venir.

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