Sciences

Modification volontaire du climat : on peut jouer à Dieu

Par Martin Dousse. Synthèse n°2318, Publiée le 12/11/2024 - Photo : Shutterstock.
Les pluies survenues à Dubaï au mois d'avril 2024 ont suscité des interrogations quant à leur possible origine humaine. Bien que les experts aient écarté cette hypothèse, un reportage de la radio-télévision suisse s'est intéressé à la géo-ingénierie (techniques permettant la modification de la météo). Si l'efficacité de cette pratique fait débat, une chose est certaine : il ne s'agit pas de science-fiction.

En 1958, Edgar P. Jacobs publiait une bande dessinée intitulée SOS Météores, un nouveau numéro de la désormais célèbre saga Blake et Mortimer. Ce récit imaginait l'être humain capable de manipuler volontairement le climat grâce à des technologies innovantes.

Aujourd'hui « l'ensemencement » ou "cloud seeding" en anglais n'est plus du tout un secret pour le milieu scientifique. Il s'agit de distiller du iodure d'argent dans les nuages grâce à des avions, des drones ou encore des fusées. L'utilisation de ce procédé chimique permet de créer des cristaux de glace dans les nuages et donc de provoquer des précipitations pluvieuses. Plusieurs pays comme la Chine, les Émirats Arabes Unis ou même le Pakistan ont actuellement recours à cette technique pour répondre à des besoins d'irrigation ou pour limiter la pollution. Selon le quotidien américain New York Post (11/05/2024), aux États-Unis, onze états fédérés ont des programmes d'ensemencement des nuages. La RTS montre que les ambitions des démiurges contemporains ne s'arrêtent pas là. Si on peut faire la pluie, pourquoi pas le beau temps ?

La Chine s'était félicitée en 2008 d'avoir réussi à éviter les précipitations pendant l'ensemble des Jeux Olympiques de Pékin. À présent, un programme d'une ampleur sans précédent est en cours : d'ici 2025, les chinois croient pouvoir commencer à maîtriser la météo sur des surfaces aussi vastes que celle de l'Inde.

Le documentaire met en lumière un manque de consensus scientifique quant à l'intérêt de continuer à développer de tels programmes. Une partie des chercheurs est plutôt enthousiaste et plaide pour un développement encadré de la géo-ingénierie. Leur but à terme est de remplacer la chimie par la lumière. Ils ont déjà prouvé par exemple que les lasers permettent de guider la foudre et croient aussi pouvoir s'en servir pour créer des nuages. Face aux effets du changement climatique, on aurait tort de se priver de nouveaux outils de contrôle.

Certains pensent pouvoir jouer sur le climat de toute la planète, à l'instar du prix Nobel de chimie Paul Crutzen qui dans les années 2000 proposait de déposer des particules de soufre dans la stratosphère afin qu'elles reflètent le rayonnement solaire. Son idée est d'imiter les effets des éruptions volcaniques. En 1991, le volcan Pinatubo avait craché un immense nuage de soufre recouvrant le globe et provoquant un refroidissement important. La Terre aurait perdu jusqu'à 1,5 degré pendant cette année.

D'autres ont un regard beaucoup plus prudent sur la fiabilité de ces méthodes, comme le professeur Dominique Bourg, de l'Université de Lausanne : « Si vous avez artificiellement réduit un peu la quantité d'énergie solaire qui arrive au sol, puis que vous arrêtez en quelques semaines, il y a un réchauffement massif et violent. […] Réparer des modifications en en ajoutant d'autres à la première, ça n'est pas réparer ! C'est prétendre parer un dommage par un autre, qu'on ne connaît pas ». M. Bourg poursuit en pointant les problèmes diplomatiques énormes que la géo-ingénierie peut générer. « Si la Chine répand du soufre, ça perturbe la mousson (la saison des pluies) en Inde. Est-que l'Inde pourrait accepter cela ? »

Le passé belliqueux de ce genre de techniques ne fait que renforcer les inquiétudes. Avec l'opération Popeye, pendant la guerre du Vietnam, l'armée américaine avait essayé d'ensemencer des nuages afin d'inonder les routes d'approvisionnement ennemies.

Un récent article des Échos rappelle que l'ONU interdit l'utilisation de la géo-ingénierie à des fins militaires depuis 1978. Pourtant, il affirme que plusieurs généraux américains la conçoivent aujourd'hui comme une arme de dissuasion, à l'image de l'arme nucléaire. En 2019, selon le même article, les États-Unis, l'Arabie Saoudite et le Brésil ont bloqué une proposition de la Suisse visant à récapituler l'ensemble des recherches en lien avec la géo-ingénierie sous l'égide des Nations Unies. Cette pratique employée dans le cadre d'un conflit comporterait des dégâts suffisamment désastreux pour qu'on veuille les dissimuler ?

Le New York Post demeure prudent face au risque de théories du complot en affirmant que les programmes d'intervention sur le climat n'ont pas toujours connu un franc succès et que l'étendue de leur portée réelle est sujette à débat. Le journal n'en choisit pas moins de citer Karen Bradshaw, professeur en droit de l'environnement à l'Université d'État de l'Arizona : « Il n'y a pas de doute que cela existe, les gens normaux ne sont simplement pas au courant. Ça ressemble à un film de James Bond, mais c'est très réel […] Des acteurs privés peuvent modifier unilatéralement le climat et toucher des millions de vies ».

La sélection
Manipuler la météo pour vaincre le dérèglement climatique, une bonne idée ?
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