Mesurer la Terre ... muni d'un simple compas !
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Mesurer la Terre ... muni d'un simple compas !

Par Janus Maat - Publié le 15/04/2022
Cette chaleur va me tuer. Mourir aujourd’hui serait mourir sur scène. Quelle serait mon épitaphe, tiens ? ERATHOSTENE, fils d’Aglaos, directeur de la Grande Bibliothèque d’Alexandrie, a été rappelé par Osiris le 7 du mois de Mésori de la 519ème année de l’ère de Nabonassar (soit le 21 Juin de l’an 230 avant J.-C. dans le calendrier moderne, jour du solstice d’été).

Il est vrai qu’aujourd’hui c'est le jour où Rê est le plus haut dans le ciel. Il est bientôt midi, mais cette souffrance vaut le coup. Dans quelques instants je connaîtrai la taille de la Terre. Cela fait dix ans que Ptolémée III « le bienfaiteur », petit-fils du général d’Alexandre le Grand, m’a demandé de la calculer, alors que je lui présentais ma nouvelle Carta Mundi, qui s’étendait des piliers d’Hercule aux confins du Gange. S’il y avait une personne pour accomplir cette tâche, ça ne pouvait être que moi. Le phare de la ville étend ses lumières tout autant sur la Méditerranée que sur la culture du monde moderne.

Quelle brillante idée j’ai eue d’imposer que chaque navire qui accoste à Alexandrie y dépose tous les manuscrits en leur possession à bord. Alors qu’une armée de scribes les recopie en bonne et due forme, nous gardons les originaux. La connaissance humaine est ici et nulle part ailleurs. Ptolémée a même accepté de payer des fortunes en cautions sur les emprunts de documents extrêmement rares venant des bibliothèques d’Athènes ou de Babylone. Payer les cautions et les garder en sa possession, c’est astucieux.

Aristote déjà, dans un rouleau que j’ai récupéré il y a 5 ans, décrivait une Terre ronde. L’observation des mâts des bateaux avant que ne soit visible leur coque à l’horizon n’était pas la seule raison pour faire l’hypothèse d’une Terre sphérique. Aristote répondait aux détracteurs qui croyaient en un monde binaire, le divisant en substances dites légères (air ou feu) attirées par le haut et celles dites lourdes (eau, terre) attirées vers le bas. Ces derniers affirmaient, péremptoirement, qu’une Terre ronde viderait les océans, l’eau des antipodes, s’écoulant vers le bas. Or, ce n’était visiblement pas le cas, la Terre devait donc être plate, ou de la forme d’une assiette aux bords légèrement incurvés afin de garder l’eau des océans. Sauf que les ignorants n’avaient tout simplement pas défini ce qui était haut et bas. Si bas signifiait le centre de la Terre, alors tout corps pesant retomberait bien vers le bas, c’est-à-dire vers le centre de la Terre, et l’eau n’échapperait pas à cette attraction. Les océans resteraient ainsi bien remplis, même aux antipodes. Comme quoi, tout n’était souvent que problème de définition.

3 minutes et Rê sera au zénith. Il suffira alors de mesurer l’ombre portée de l’obélisque de Seti 1er et j’aurai la réponse. Je me souviens quand j’ai expliqué ma méthode à Ptolémée. Malgré sa grande curiosité, il n’avait pas tout à fait compris le principe. J’avais entendu dire qu’à Syenne (actuellement la ville d’Assouan, sur les bords du Nil), il existait un puits tellement profond qu’aucun rayon de Soleil ne s’y reflétait, sauf le jour du solstice d’été, à midi. J’avais tout de suite compris que cela signifiait que les rayons de Soleil arrivaient perpendiculairement au sol à cet instant. Si la Terre est plate, le Soleil devrait arriver verticalement en tous les points de la Terre ce même jour à midi. Par contre, si le sol est bombé les rayons arrivent inclinés un peu plus au nord, et une ombre devrait se dessiner sur le sol. Plus le sol est bombé, plus l’ombre est grande, et plus la Terre est petite. Mesurer l’angle de cette ombre à Alexandrie, c’était mesurer l’angle entre Alexandrie et Syenne. Connaissant la distance entre Syenne et Alexandrie, il suffisait d’appliquer une simple règle de trois pour obtenir la distance d’Alexandrie à… Alexandrie sur 360 degrés, et ainsi connaître la taille de la Terre. Tout simplement.

On y est. L’erreur n’est pas permise. Un compas me suffit… Il est midi, l’angle est de… 1/50ème de 360degrés. Voyons voir, mon bématiste avait noté que la distance entre Alexandrie et Syenne était de 5 000 stades. Ces bématistes sont formidables. Une génération de marcheurs, qui ont mesuré les distances lors des campagnes d’Alexandre le Grand, avec un pas d’une régularité millimétrique. Il a fallu 3 mois à mon bématiste pour mesurer cette distance. Nous avons dit 5 000 stades ? Oui, parfait. 1/50ème de la circonférence cela fait 5 000 stades. Ce qui veut dire que la circonférence vaut 50 fois plus, soit 50 * 5 000 = 250 000 stades (Soit 39 375 kilomètres. Notez que les données les plus modernes donnent 40 008 kilomètres, on appréciera la précision pour Ératosthène qui ne possédait qu’un compas, doublé il est vrai, d’un esprit fin). Parfait. La Terre, fait donc 250 000 stades de circonférence . C’est plus petit que ne l’avait imaginé Aristote, quant au « bienfaiteur 4 », il a sa réponse. Je peux m’en aller rejoindre Osiris en paix, et contempler de la haut cette sphère si parfaitement ronde, et si imparfaitement vivante à la fois.

Adaptons mon épitaphe avant de partir :

   ERATHOSTENE, fils d’Aglaos,
   directeur de la Grande Bibliothèque d’Alexandrie,
   Premier homme à avoir mesuré la Terre.
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